Ginette

Midi. L’un après l’autre, ils sortent de la salle de cours. Le temps de ramasser ses affaires, et le couloir est désert. Elle les entend descendre l’escalier. Puis se compter, s’arrêter. Il en manque un. Ginette ralentit légèrement le pas à leur niveau, le cœur battant, sourire aux lèvres. Pour une fois, ils se seraient rendus compte qu’ils ne l’avaient pas attendue ? Tartempion la dépasse en courant ; son cœur se serre un peu, pas trop, ce serait bête ; elle lance vaguement un “bon appétit” et part de son côté. Ses oreilles traînent quand même, presque malgré elle. “… vraiment pas de quoi, on est une promo super, c’est tout…”. Finalement, elle accélère un peu, Ginette, à défaut de pouvoir se boucher les oreilles en chantant à tue-tête. Elle redécouvre un peu comme ça qu’il n’y a pas que la méchanceté gratuite qui puisse blesser.

Elle est grande, Ginette, elle s’en remet. Elle en prend son parti, choisit l’œil sociologue pour s’improviser une nouvelle carapace. L’ancienne, elle l’avait laissée tomber quand elle a pensé avoir assez grandi pour ne plus en avoir besoin. C’est vrai, c’est encombrant, une carapace, ça serre un peu aux entournures alors quand on sait bien s’entourer, autant s’en passer… Ses nouveaux yeux lui soufflent qu’en fin de compte, maternelle, lycée ou “monde du travail”, il n’y a pas tant de différence que ça. L’indifférence reste l’indifférence. Les mots sont un peu moins gros, le harcèlement moins physique. Mais au bout du compte, l’exclusion en pleine face et les portes closes sont toujours les mêmes. Elle se promet qu’elle s’en souviendra, Ginette, une fois rentrée dans son cocon. Qu’elle exercera son œil pour détecter chez les plus jeunes, les plus fragiles, les marques d’une vieille douleur qu’elle avait crue distancée depuis longtemps. Et qu’elle tendra des mains, plein, quand elle en aura l’occasion.

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