Myriam à la plage

Histoire écrite pour Myriam, qui a choisi le personnage principal, le lieu, et 6 mots (à retrouver dans le texte).

Myriam est enfin prête pour aller à la plage. Ses cheveux magnifiques sont tressés et huilés pour être protégés du soleil, du sable et du sel. Elle a son nouveau maillot de bains (celui de l’an dernier est déjà trop petit, normal pour ce début d’adolescence). Dans son sac, elle a mis son paréo, ses lunettes de soleil, une belle serviette, un magazine et du Monoï. Depuis un mois et le début de ses vacances à Tataouine, elle se languit des plages de Zeramdine. Alors, quand son père lui a dit hier soir qu’aujourd’hui, ils iraient ensemble à Djerba, elle était aux anges ! Un dernier coup d’œil de 37 secondes devant le miroir et elle rejoint son père qui l’attend dans la voiture.

Le trajet dure 2h, Myriam, quand elle ne discute pas avec son père, choisit la musique et fredonne. Quand son papa lui demande d’attraper une bouteille d’eau à l’arrière, Myriam se retourne et se fige d’un bloc. Sur le siège juste derrière le sien, une poupée est attachée, comme un enfant qui les accompagnerait. Elle se retourne vers son père, qui n’a pas le sourire en coin qu’il a d’habitude quand il lui offre une surprise. Il attend sa bouteille d’eau. Myriam lui donne, attend qu’il boive, et lui lance un timide “merci Papa pour la poupée”. Il ne comprend pas, elle lui répète “merci pour la Poupée que tu as installée à l’arrière de la voiture”. Quand il lui dit, très sérieusement, qu’il n’y est pour rien, Myriam se retourne, apeurée, et vérifie si ses craintes sont fondées : Oui, il s’agit bien d’Annabelle, la poupée dont elle avait réussi à se débarrasser il y a trois ans.

Annabelle, la terrible poupée qui bougeait seule la nuit, cassait des objets dans la chambre de Myriam, lui murmurait des contes sanglants à l’oreille. Et redevenait parfaitement immobile le matin, laissant Myriam dans la panade pour expliquer les bêtise de la nuit à ses parents, et quelquefois, le lit mouillé de terreur. Jusqu’à ses dix ans, où Myriam a eu le courage d’attraper sa poupée, de l’enfermer dans une valise cadenassée, d’accompagner son père jusqu’à la déchèterie et de lancer la valise dans le bac à incinérer. Et voilà qu’Annabelle est assise sur le siège arrière, sans que son père ne lui avoue sa blague. Mais Myriam est grande maintenant. À treize ans, on n’a plus peur des poupées, si ?

Myriam se force à penser à autre chose, elle parle du collège et de sa petite sœur avec son père, et les voilà arrivés à Djerba. En voyant la plage, Myriam oublie tout. Avec son père, ils se trouvent un petit coin tranquille, ils posent leurs affaires et hop, à l’eau ! Elle est chaude, c’est un délice ! Myriam fait des pirouettes, l’équilibre sous l’eau, la planche… pendant que son père va faire un peu de crawl. Au bout d’une demi-heure, Myriam s’ennuie et veut sortir pour aller bronzer, mais aucune trace de son père.

C’est alors qu’un requin s’approche, nageant droit vers elle. Il n’est pas très grand, un peu moins d’un mètre, avec une peau gris-noir sur le dessus. Myriam sait qu’il ne faut pas paniquer, alors elle respire lentement et cherche son père du regard. Nulle part en vue. Le requin s’approche encore et ralentit, près d’elle. Aucune agressivité. Maintenant qu’il est plus près, Myriam remarque un dessin sur le dos du requin. C’est le tatouage de son père ! Un M comme Myriam, dans une fleur d’hibiscus. Le requin fait des cercles très lents autour de Myriam, et semble la supplier du regard. Myriam lui dit de rester là, elle va chercher de l’aide immédiatement !

Arrivée au poste de Secours pour expliquer son histoire, Myriam se rend compte qu’en haut de la grande chaise, Annabelle est installée. Aïe, c’est donc un coup de cette poupée de malheur ! Elle a jeté un sort à son père et l’a transformé en requin ! Myriam file, elle va devoir gérer ça toute seule…

Myriam va chercher son téléphone dans le sac et appelle sa mère. C’est Luna, la chatte noire et blanche qui a grandi avec Myriam, qui répond. Myriam lui explique le plus clairement possible la situation, dans leur langage secret. Luna lui chante par téléphone une comptine magique, et elles se retrouvent toutes les deux miniaturisées dans une fabrique de jouets, à Paris.

Myriam ne comprend pas vraiment ce qu’elle fait là, mais Luna renifle dans tous les coins puis semble se décider et se dirige vers un local technique. Myriam la suit, contente de partir à l’aventure, mais quand même très inquiète pour son papa. Sous la porte du local, on devine une lumière verte et on voit sortir un peu de brouillard. Myriam ouvre la porte, et avec Luna, elles explorent les lieux. Ce n’est pas un simple local pour ranger les balais et serpillères ! C’est immense en fait, un vrai laboratoire clandestin de la taille d’un centre commercial ! Il y a d’énormes cuves d’où sort un épais brouillard. La lumière verte provient d’une immense plante phosphorescente, haute comme une girafe. Cette plante phosphorescente a comme des tentacules qu’elle agite en direction de rangées d’étagères. Myriam s’approche et regarde les étagères : il y a des milliers d’Annabelle, qui semblent observer la plante phosphorescente, comme Myriam écoute au collège un prof passionnant ou le dernier épisode de Lucifer. Elles apprennent ici à être maléfiques ! Et ensuite, zou, direction la fabrique de jouets pour être expédiées dans le monde entier. En regardant de plus près, Myriam voit que la plante touche chaque poupée du bout du tentacule. Et juste après ce contact, la poupée s’anime seule et l’écoute.

Luna a observé tout ça également. Avec Myriam, elles parviennent à une conclusion toute simple : c’est la plante qui confère leur pouvoir aux Annabelle. Il faut donc trouver un moyen de neutraliser la plante. Luna escalade tout ce qui est à sa portée pendant que Myriam cherche un sécateur. Luna regarde dans les cuves : un gros liquide bouillonnant, et une odeur nauséabonde. Une étiquette : “engrais spécial”. Et un tuyau, qui part de chaque cuve pour alimenter le sol au pied de la plante phosphorescente. Au fond du laboratoire, Myriam trouve des bidons “désherbant puissant – en cas d’urgence”. Pas besoin de sécateur finalement… Elle prend chacun des bidons et, sur les conseils de Luna, les verse méthodiquement dans chacune des cuves. Le bouillonnement dans les cuves s’arrête, le brouillard est moins épais.

Quinze minutes plus tard, la plante ne bouge plus du tout et s’affaisse sur elle-même. La lumière verte s’éteint. Myriam allume la lampe de son téléphone. Elle constate que les poupées disparaissent les unes après les autres avec un petit “pop” et un nuage de paillettes dorées. Super, ça a l’air de marcher !

Ni une, ni deux, Luna chante sa petite chanson, à l’envers, et Myriam est de retour à Djerba, allongée sur sa serviette. Son père, à côté d’elle, se réveille de la sieste. Myriam s’étire, il est 17h, elle a un petit creux. Après toutes ces péripéties, Myriam et son père s’offrent une glace bien méritée et se remettent de leurs émotions en dorant au soleil.

Luce dans les nuages

Cette histoire se déroule dans le même univers que celui de “la boutique de la nuit” et “retour d’expérience“.

Chaque semaine, Luce travaillait, du lundi au jeudi, dans un cabinet d’avocats, à mettre de l’ordre dans les comptes, et à organiser rendez-vous et réunions. Le jeudi soir, elle restait plus tard en ville, pour un atelier chorale qu’elle avait intégré depuis septembre. Le vendredi et le samedi, elle restait chez elle, triant les photos que sa sœur lui avait léguées avant sa mort, deux ans plus tôt. Le dimanche, elle quittait son appartement à 9h et arpentait ville et campagne, aussi loin que ses pieds le lui permettaient, pour revenir à 19h30. Alors elle passait la soirée à cuisiner, préparant des plats simples pour sa vieille voisine, qui n’avait plus qu’à les réchauffer.

En ouvrant la porte à 08h57 ce dimanche de juin, Luce trouva un cube bleu nuit, d’une dizaine de centimètres de côté, sur son paillasson. Intriguée, Luce le saisit et lut l’inscription qui figurait sur une face en lettres dorées : “Escalade dans les Nuages”. Une toute petite carte était scotchée sous le cube, mentionnant : “à ouvrir lundi à 18h12”, sans aucune signature. Pensant à une méprise, Luce posa le cube dans l’espace commun, près des boîtes aux lettres, et partit en balade. En revenant de sa journée en extérieur, elle retrouva le cube sur son paillasson. Elle le prit avec elle et le posa sur la table basse du salon. Fourbue, elle se servit un thé bien chaud avant de cuisiner tomates farcies, gratin de carottes et moussaka pour sa voisine.

Le lendemain, Luce rentra tôt chez elle. Après une douche bien fraiche, elle passa un jogging et un débardeur, puis s’installa confortablement dans le canapé du salon. À 18h07, elle prit le cube sur la table basse et le regarda sous toutes les coutures, sans rien trouver de nouveau par rapport à la veille. À 18h12, le cube s’ouvrit mais Luce ne vit rien à l’intérieur. Elle le tourna dans tous les sens, mais rien n’y fit, il semblait vide. Elle approcha les yeux du fond de la boîte, et trois flashs lumineux l’éblouirent.

Quand elle put voir à nouveau, elle se trouvait au milieu de nulle part, dans un paysage évoquant la toundra ou une immense plaine, sous une chape de lourds nuages gris, sans bâtiment ni humain à perte de vue. Seule, incongrue, une corde nouée se balançait à sa gauche, au dessus d’un sac rassemblant du matériel d’escalade. Luce s’équipa entièrement avant de monter à la corde, nœud après nœud.

Quand elle arriva à portée du nuage, juste à la limite du ciel, elle hésita un moment puis planta un piolet dans la masse grise au dessus d’elle. Il s’enfonça juste ce qu’il fallait, et Luce put progresser ainsi, s’aidant de piolets et de ses crampons pour se faufiler dans les interstices entre deux nuages. Le mouvement de ces énormes nuages gris compliquait sa tâche, mais très vite, Luce se sentit assez assurée : sous elle, il n’y avait plus de vide mais un gigantesque matelas. Elle comprit très vite qu’il valait mieux viser les morceaux de nuages bien denses et éviter les nébulosités qui s’effilochent. Alors qu’elle venait de traverser environ un tiers de la couverture nuageuse, il se mit à pleuvoir sous son nuage. Luce, en bord de ciel, regardait l’eau tomber en gouttelettes. Quand elle voulut reprendre son ascension, l’averse gagnait le nuage au-dessus d’elle. Et là, impossible d’escalader, le courant était bien trop fort pour progresser vers le haut. Résignée, trempée mais émerveillée, elle déambula sur son bout de nuage jusqu’à ce que cesse l’averse. Elle croisa une volée de canards sauvages, perçant le sol à quinze mètres d’elle avant de s’enfoncer dans son plafond.

Quand Luce eut traversé tous les nuages, le soleil allait bientôt se coucher. Le ciel était rose, elle marchait sur une banquise de moutons orangés, s’enfonçant très légèrement à chaque pas, comme un moucheron sur une barbe à papa géante. La vue était splendide, la lumière merveilleuse et toute l’immensité de l’univers vibrait au-dessus de sa tête. Luce s’assit sur un petit monticule nuageux, laissant pendre ses jambes dans un creux assez profond, et regardait le spectacle de la dérive des nuages autour d’elle.

Une femme d’une trentaine d’année, un sourire serein sur le visage, vint la rejoindre. Linda, nouvelle soprano de la chorale. Sans un mot, les “ainsi c’était toi” et “ravie que tu sois venue” s’échangèrent. Les deux femmes, épaule contre épaule, admirèrent le soleil qui disparaissait et profitèrent de la myriade d’étoiles qui les enveloppa alors. Paisiblement, elles s’assoupirent, blotties l’une contre l’autre.

Quand Luce rouvrit les yeux à 07h38, elle était dans son lit, seule, un sourire accroché à ses lèvres. Ce soir, c’était jour de chorale et son cœur battait la chamade.

Conte de l’Avent – Comment Joe le cha(t)foin estourbit un canard poilu dans la géode chatoyante – 24 –

Pour avoir le début de l’histoire, c’est ici.

Deux ans plus tard, Joe et Pierre-Henri fêtaient Noël dans le refuge pour adolescents isolés qu’ils avaient créé ensemble. L’adolescence de Joe était terminée, et sans être vraiment beau, il n’avait plus de boutons ; ni ses cheveux ni sa peau n’étaient gras ; son sourire franc illuminait régulièrement son visage par ailleurs quelconque. Son amitié avec Pierre-Henri lui avait tellement chauffé le cœur qu’il n’était plus du tout en demande auprès des jeunes de son âge, et ses relations en étaient grandement fluidifiées. Il abordait donc sereinement l’âge adulte, confiant en lui et en ses projets.

Ils avaient actuellement cinq jeunes dans leur refuge, deux orphelins trop grands pour être accompagnés par l’Aide Sociale à l’Enfance, et trois jeunes mis à la porte de chez eux par leurs familles que Samantha L’Étoilée leur avait envoyés.

Le repas de fête était chaleureux, à défaut d’être gargantuesque. Chez eux, par égards pour leur ancienne condition, pas de viande ou de poisson, mais une profusion de légumes cuisinés avec amour, des rires, des jeux et tout un tas de pensionnaires à poils, plumes, épines ou écailles qui égayaient leur quotidien en se refaisant une santé. Fidèle à ses promesses, Joe prenait soin des animaux, des villes, des champs ou des bois, qui étaient blessés, affamés ou harassés, et militait auprès des collectivités pour redéfinir le concept d’espèces nuisibles ou utiles. Il avait obtenu gain de cause à Melun où la toute première déchetterie assistée par rongeurs, avec un sanctuaire pour les rats, allait être inaugurée en janvier.

Pour ce Noël, Joe et Pierre-Henri s’offraient mutuellement un tatouage au creux du poignet : pour Joe, la moitié d’une tête de canard, des rastas tombant sur l’œil droit et pour Pierre-Henri la moitié d’une tête de chat avec un bandana.

FIN

Conte de l’Avent – Comment Joe le cha(t)foin estourbit un canard poilu dans la géode chatoyante – 23 –

Pour avoir le début de l’histoire, c’est ici.

Une fois ce futur Pierre-Henri disparu, la lumière bleue abritée par Joe ressortit. Elle flotta devant le petit groupe, puis alla se loger au cœur du Pierre-Henri présent. Celui-ci irradia, éclairant la géode de mille feux. Le jeune Pierre-Henri se rapprocha, lui tint la main puis rétrécit à grande vitesse pour finir aspiré par l’oreille droite de l’homme. Pierre-Henri avait ainsi retrouvé son âme et sa jeunesse.

Il se tourna vers le canard et soupira. L’animal n’avait toujours pas repris conscience. Pierre-Henri le détacha, le recueillit dans ses bras et le tint serré contre son torse. Dans un grand éclair de lumière bleue, le canard poilu fut incorporé à l’homme. Enfin réunifié, celui-ci s’assit en tailleur au sol, appuyé contre une des colonnes de Saphir. Joe vint le renifler et, rassuré par son odeur, se lova au creux des genoux de son ami pour une sieste ronronnante et bien méritée.

Ils se réveillèrent tous deux, bien calés dans un fauteuil dans le salon de Samantha, Joe sur les genoux de son ami. Samantha était étincelante, deux minuscules étoiles argentées faisaient briller la commissure externe de ses yeux. Elle félicita les deux comparses pour leur éclatante victoire sur la Tigrée et proposa à Joe un bol de lait et un choix : souhaitait-il poursuivre son existence sous forme de chat ou bien voulait-il redevenir humain ?

Conte de l’Avent – Comment Joe le cha(t)foin estourbit un canard poilu dans la géode chatoyante – 22 –

Pour avoir le début de l’histoire, c’est ici.

Soulagé, Joe se tourna vers les trois Pierre-Henri. Le jeune se portait comme un charme, il était souriant, détendu, en phase avec le monde et ses habitants. Le Pierre-Henri d’âge moyen se portait beaucoup mieux. Il était alerte, d’une force tranquille, le teint déjà plus sain. Il lui lança un grand sourire franc et lui souffla un baiser volant en remerciement pour son aide précieuse. Joe fut très surpris en regardant le plus vieux des Pierre-Henri. Bien que toujours aussi serein, souriant, stable, il s’effaçait lentement, tel le chat du Cheshire. Il devenait progressivement transparent, mais ne semblait absolument pas paniqué par cet état de fait.

Joe voulut aussitôt sonder son esprit en se synchronisant sur son rythme, mais il ne trouva rien à sonder. Alors il parla, lui demanda ce qui se passait. Le vieil homme lui répondit d’une voix très lointaine, dans un chuchotis ténu. “Je n’ai jamais existé, Joe. Je n’ai toujours été qu’une des possibilités qui s’offrent à Pierre-Henri. Une éventualité suffisamment plaisante pour qu’il ait envie de s’en sortir. Mon rôle ici est terminé. Je m’en vais.
Tu ne peux rien faire pour moi, il faut me laisser partir pour que Pierre-Henri soit totalement libre de son présent. Libre à lui de me faire advenir, ou pas. Mais sache, petit chat, que pour ma part je t’ai complètement dans la peau. Nous n’oublierons jamais ce que nous te devons. Merci Joe, mon ami. Merci mille fois. Vous avez encore tant de belles choses à vivre ensemble, avant que je puisse ré-exister. Profites-en, et prends bien soin de vous. Adieu mon ami.” Et il disparut totalement, son tatouage au mollet subsistant quelques secondes, flottant doucement dans l’air.