Brèves d’attachement

Ma tata la Castafiore ment énormément pour attirer l’attention. Elle a même tatoué une chemise sur sa perruche avant de la lâcher dans la cheminée.

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Le bâtisseur bêta se tape un taboulé à la tapenade. Le mentaliste allemand lèche une ganache au chocolat. Atchoum !

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Attention, mon amante aux yeux d’amande, ta chemise se déchire, ta chair tatouée ne manque pas d’attrait pour le bêta tatillon qui chemine à tâtons sur la péniche.

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Une tarte Tatin attaque un tamanoir à Seattle. Un tapir attrape la Tatin taquine et la bat sur le tarmac.

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Matthias a menti posément à sa maman. Il dément gravement. Elle l’attache et le chatouille aux chevilles. Quelle bataille atypique !

Jim

Oh non, pas la voiture, encore… Je commence par quoi, déjà ? On est… jeudi ? La navette à l’aéroport, encore, pfffff… Et vas-y que ça va s’enchaîner, et les valises à porter, et les clients en jet-lag qui décrochent pas un mot…. Tiens, j’ai mal au dos, mais en bas, aux lombaires, pas à la nuque comme d’habitude. Si ça passe pas d’ici ce soir, faut que je demande à Annie de prendre rendez-vous chez le kiné, je peux pas laisser ça traîner. Il me reste combien de temps encore ? Mettons que je parte à soixante-cinq, en vendant la licence cent cinquante mille, je peux avoir un truc correct pendant quinze ans. Si je fais de vieux os, je finirai pauvre. Bah, quatre vingts ans, c’est loin… J’ai cinquante sept, ah non, cinquante huit, c’est vrai. J’oubliais. Jusqu’à soixante cinq, il me reste sept ans. Ça vaut plus vraiment le coup d’investir dans les voitures autonomes. Z’auraient pu sortir ça plus tôt. C’est les autres qui vont en profiter, pour ma pomme c’est trop tard. Qu’est-ce qui t’a pris aussi d’accepter la licence de Papa ? T’as jamais aimé conduire, et parce que le vieux t’a fait promettre sur son lit de mort, tu laisses tomber l’écriture et tu sillonnes la ville pour ceux qui se paient le luxe de ne pas avoir de voiture. T’as renoncé bien facilement, non ? Un bon prétexte, hein, la promesse au paternel ? Tu voulais quoi ? Que je lui dise que je voulais pas de son héritage, qu’il avait trimé comme un chien toute sa vie pour avoir quelque chose à me transmettre, pas comme ses parents à lui, et moi j’allais juste lui cracher à la gueule que je déteste conduire et qu’il avait fait tout ça pour rien ? Non, moi je dis juste que tu pouvais faire les deux. Conduire et écrire. Surtout qu’avec ce qu’on voit et ce qu’on entend dans un taxi, y a matière à faire de beaux romans. Ça va, ça va, on arrête là, avec les pensées négatives. Comment elle dit, Annie, déjà ? Sois bienveillant avec toi-même. Parle toi comme tu parlerais à un ami. Et à un ami, on lui balance pas comme ça qu’il a pas le courage de ses ambitions. À un ami, on lui dit qu’il aura bientôt le temps, d’ici sept ans par exemple, de ressortir ses stylos pour s’évader un peu. On lui dit qu’il peut être fier de lui, l’ami, d’avoir tenu la promesse faite au père, parce que ça a pas toujours été facile avec le vieux. Deux bonhommes qui savent pas se dire qu’ils s’aiment. Le taxi, c’est ça. C’est le Je t’aime du père. Alors on accepte l’amour et on l’intègre à sa vie. C’est vrai Papa, j’ai pas toujours été un bon fils. J’ai pas fait comme tu voulais, moi. T’as jamais eu de petits-enfants et tu l’as pris comme un rejet. Comme si je voulais pas devenir toi. Mais j’t’aimais, Papa. C’est vrai que je l’aimais, le père. Une admiration de gamin pour ce grand taiseux. Tellement d’admiration que je voulais pas me mesurer à lui. Mais quand il est mort, il fallait bien que quelqu’un le poursuive, il pouvait pas s’arrêter comme ça, non ? Et puis, on a beau dire, ça paie bien, taxi. Bon, c’est pas tout, ça, faut y aller. Aïe. Mon dos.

Le fil d’Ariane

Assise seule en pleine nuit en haut des escaliers, je compose des numéros de téléphone pour m’extraire du cauchemar dans lequel je bascule. À chaque sonnerie sans réponse, je chute un peu plus, comme une branche qui se déroberait sous ma main en quête d’appui.
À 5h du matin, la famille, les amis dorment et ce téléphone inutile me rappelle la vie de solitude qui m’attend désormais. Un gouffre qui me terrorise, même si je ne peux pas encore l’appréhender. 
Le répertoire défile, les tonalités s’enchaînent et je ne sais pas vers qui me tourner. Le médecin revient me dire qu’il me faut du soutien, que je ne peux rester seule. J’approuve mais je suis incapable de parler aux répondeurs qui ne savent pas, qui ne peuvent rien pour moi.

Je me rappelle que tu n’éteins jamais ton téléphone la nuit depuis le décès de ta grand-mère. Tu es presque la dernière personne que je pensais appeler. C’est un sale coup à te faire, t’appeler à la rescousse après t’avoir éloigné brutalement. 
Avant que la solitude ne m’engloutisse totalement, quand il n’y a de toute façon ni espoir ni sens à cette vie absurde, je compose ton numéro.
Quatre sonnerie. Je veux raccrocher mais je résiste. J’ai besoin de toi. 
Tu décroches. Tu tends ta voix ensommeillée vers moi, et tu t’arqueboutes tout entier pour tenter de freiner ma chute.

36 B

Texte écrit dans le cadre d’un atelier d’écriture à L’Escalier

Une cage d’escaliers d’un immeuble HLM. La peinture jaune sur la rampe s’écaille. Le carrelage bon marché semble propre, comme s’il avait été lavé il y a quelques heures à peine. Dans l’air flotte une odeur de poubelles, de détergents bas de gamme et de friture. On trouve des graffitis sur les portes des vides-ordures, mais pas sur les murs. On est au niveau du palier du troisième étage. Il est 18h15, on est dimanche.

La porte de gauche s’ouvre, une fillette d’une dizaine d’années sort de l’appartement, claque la porte et vient s’asseoir sur les marches qui mènent au quatrième étage. Elle porte ce qui pourrait être un pyjama ou un jogging. Ses yeux sont rouges, elle tremble, prend ses genoux dans ses mains.

Du bas remonte vers le quatrième une adolescente d’une quinzaine d’années. Elle est vive, elle monte les marches deux à deux. Elle porte un sac à dos, un jean, un T-Shirt, un blouson de simili-cuir. Ses joues rouges paraissent fraîches, elle a de grands yeux rieurs et un sourire qui lui traverse le visage.

Arrivée au niveau de la fillette, l’adolescente s’arrête. Elle hésite un instant puis choisit de rester. Elle s’assoit à côté de la petite en demandant “je peux ?”. La fillette hausse les épaules. Chacun est libre de faire ce qu’il veut et l’ado n’a pas l’air méchante.

“Ça fait longtemps que tu es sur le palier ?” Nouveau haussement d’épaules. Pas trop. “Tu es enfermée dehors ?” La petite fait non de la tête. “Tu ne veux plus rentrer chez toi ?” Encore un hochement de tête, avec les larmes qui montent dans la gorge. L’ado est intriguée. Elle connaît la petite de vue, elle a emménagé dans l’appartement en dessous du sien il y a deux mois, mais elles n’ont jamais eu l’occasion de parler pour l’instant. Elle devrait rentrer chez elle, sa mère l’attend, mais quelque chose dans le regard de la petite la retient, l’émeut.

“Tu veux me dire ce qui ne va pas ?” Cette fois-ci, les larmes sortent, en cascades de sanglots désordonnés. Ça bouchonne dans la gorge serrée et les pleurs s’accompagne des tremblements que la petite contient depuis tout à l’heure. La douceur de la grande, venue tapoter sa cage de solitude, a fait exploser ses digues. Son chagrin sort à gros bouillons, elle n’essaie même plus de garder contenance.

L’ado fait la seule chose qui lui paraît pertinente sur le moment. Elle prend la petite dans ses bras et la serre contre elle. Pose ses lèvres sur la petite tête en faisant shhh, shhh, ça va aller.

Lettre à des amis

Texte écrit dans le cadre d’un atelier d’écriture à L’Escalier

La nuit, le désespoir, l'horreur indicible, je me tourne vers toi 
Nous sommes sans mot, sans voix, mais nous sommes là, catapultés en bord de vie mais ensemble
Enlacés par le regard, par la chaleur partagée, par les bras qui agrippent, les bras qui repêchent, les bras qui abritent, les bras qui retiennent ce monde qui s'effondre.
Parmi les nuits blanches à écoper nos larmes 
Parmi les heures sombres où la vie tremble en grand fracas.
Quand le monde se colore en bulles fragiles qui éclatent au moindre rire, 
Quand réapprendre la joie est trop insoutenable,
Quand chaque victoire, chaque pas en avant se paie de terreurs, de prostrations, d'abandons, 
Tu es là.
Tu me donnes sans compter l'appui d'un mot, le réconfort d'un câlin, la patience de tes silences.
Et quand les sourires reviennent sans se teinter de larmes,
Quand la joie ne pique plus le cœur mais se partage sans équivoque,
Quand je suis assez forte pour te venir en aide à mon tour,
Quand les projets cascadent à nouveau,
Tu es là, encore.
À toi mon ami, mon veilleur de vie,
À toi mon amie, veilleuse qui tremble dans la nuit,
Merci.