Highlander

Même piétiné, enfoui sous des tonnes de faits et laissé pour mort ; même après le deuil, lorsque la suite s’impose avec raison et détourne les pensées, l’espoir toujours revient à la charge et tapote l’épaule, le ventre et le cœur. Se pourrait-il que… ? Pour quelques jours encore, oui, tout est possible.

Avant que ne meure d’elle-même l’insolente étincelle, serait-ce si insensé de se laisser y croire encore quelques instants ? La chute sera-t-elle vraiment plus dure ? Et même si oui, cet envol inespéré qui allège le quotidien et étale les sourires ne mérite-t-il pas quelques hématomes à l’heure de l’atterrissage ?

Espoir, éternel survivant qui s’invite à la fête sans demander l’autorisation, merci d’enfin insoucier l’ordinaire, un brin pesant et studieux ces derniers temps.

Ça plane pour moi

La cervelle en surchauffe, enfin dans mon élément. Survol. Balayage. Focus. Urgence. L’échéance qui arrive comme un camion à contre-sens. Acuité. L’éveil adrénergique concentre l’attention papillon mais élargit l’esprit. La tempête en approche m’apaise, comme toujours. La toile se construit, lien après lien, réseau de savoirs articulés, de concepts en intelligence. Bien sûr il y a des lacunes. Mais le filet est solide et rassure. On peut se jeter dans le vide sans risquer de se faire trop de mal.

Et revoilà le frisson. Au moment de sauter du plongeoir, on teste ses appuis, l’élasticité de la planche. Mais il n’est plus temps de se demander si on sait nager. On sait. Il n’y a plus qu’à savourer la vie comme suspendue. Et sauter.

Peut être auront-ils raison, finalement. De cette année de malaise sourd, d’impression d’imposture, de stress acide rongeant le corps et les ressentis, peut être ne restera-t-il que cette quintessence. Toute l’intensité d’une année-sourdine révélée en une poignée de semaines et quelques étapes euphoriques le long du tunnel. Et alors, dans le rétroviseur, peut être ne seront reflétés que ces instants fugaces, condensés de vie à l’état brut, pour lesquels j’avais choisi, il y a à peine un fragment d’éternité, de relever le défi.

Pile ou face ?

Fébrilité. Anticiper cent fois l’action. Actualiser en rafales. Rien de neuf. Évidemment. Se changer les idées une petite heure. Revenir en cinq minutes. Actualiser, encore. Et encore. Maladif. Frénétique. Pendant que les doigts pressent compulsivement les touches, le cortex s’affole en imaginant la liste enfin affichée. Survoler rapidement les noms, se chercher. Deux scénarios alternent alors à la vitesse du cœur qui s’emballe.

Boum. Le nom n’est pas là. Devenir blanche tellement le sang en oublie de circuler.

Boum. S’apercevoir.

Boum. Se chercher. Encore. Scrupuleusement.

Boum. Lire avec délectation les sigles familiers.

Boum. Actualiser, au cas où.

Boum. Le futur défile à vive allure, joie, fête, champagne. Déménagement et déjà rentrée des classes, en un clin d’œil, la retraite est là.

Boum. Rater quelques battements. Une erreur, c’est une erreur. Ça ne peut être qu’une erreur.

Pas le temps de s’attacher à un script, pas le temps de le détailler, déjà l’autre se sur-imprime en zapping fou. Actualiser. Regarder l’heure. Ce ne sera pas pour aujourd’hui. Recommencer demain, alors.

Le tunnel

“Faites de votre mieux, dans tous les cas, vous ne pourrez pas tout maîtriser”

Et si je n’arrive pas, moi, à faire de mon mieux ? Si je me connais assez pour savoir que “mon mieux”, je ne peux pas le tenir sur un an, que c’est trop me demander ? Et si je sais pertinemment que tout ce que je peux faire ce ne sera pas encore assez, au regard de mes propres exigences ? Mais que quand même, je pourrais bien en faire un poil plus que maintenant ? C’est quoi un poil, au final ?

“Faire de son mieux”, quelle malédiction ! Pire encore que celle d’avoir une vie passionnante… Sur quelle échelle objective “faire de mon mieux” se situe-il ? Avant ou après le stress qui me réveille à 4h et me laisse me rendormir cinq minutes avant que le réveil sonne ? Avant ou après les semaines d’isolement pour avoir une chance de me concentrer un peu ? Avant ou après avoir épuré ma chambre de toute distraction pour finalement me coucher à 22h parce que les tartines de texte écrites en 8, ça m’épuise ? À combien de nuits bien grignotées pour potasser ? Ça suffit, deux, ou c’est pas encore “mon mieux” ? Avant ou après l’eczéma entre les doigts, sur les coudes, les chevilles ? Avant ou après l’engloutissement quotidien d’une tablette de chocolat, même pas pour le goût, juste pour l’éphémère apaisement ? À quelle couleur de cernes, à combien de cheveux blancs ? Avant ou après la culpabilité sourde à chaque minute passée à glander ? Richter, si tu pouvais m’aider un peu, ce serait pas de refus… Tu le situes où, toi, “fais de ton mieux”, sur ton échelle ?

Alors, comme ça, je pourrais rater si près du but parce que j’ai vu le dernier film de Ben Stiller (mais  raté le dernier Miyasaki), cherché une musique sur internet (et créé trois playlists dans la foulée), découvert un blog, lu un énième article féministe/écologiste/politique ou épluché les informations ? Parce que j’ai profité d’un matin câlin, d’un repas de famille ou d’une soirée entre amis, joué avec mes chats et regardé pousser mes plantes ?

Et même si je fais vraiment de “mon mieux” (au pire, ça ne mange pas de pain de le dire), je pourrais rater quand même, non ? Pas de réussite assurée, c’est pas “agrégée ou remboursée”, cette année… Juste moi qui évaluerai à postériori tout ce que je n’ai pas assez fait pour assurer mon succès, tous les instants à côté desquels j’aurais dû passer pour imbiber quelques gouttes de savoir en plus dans mon cerveau éponge ? Alors même que je sais que je ne retiens que ce qui m’intéresse (et surtout pas les formules, gentiment consignées dans les bouquins de référence), je serais capable dans six mois de m’en vouloir pour une vidéo de bébé panda ou une grasse mat’ de trop.

“Détendez-vous, ça ne sert à rien de bosser comme des fous si vous craquez au dernier moment.”

Oui, mais se détendre, c’est justement réussir à oublier que le travail s’entasse. C’est accepter que chaque heure passée sans travailler, c’est une notion de plus qui ne sera pas maîtrisée, c’est laisser passer sciemment une chance d’approfondir un point problématique, c’est assumer pleinement que ce mécanisme, non, on ne le connaîtra pas le jour J.

Je crois que finalement, c’est bien le plus dur à apprendre, cette année. Se détendre. S’insoucier. Se dé-soucier, même. Quand ça a coulé de source pendant plus d’une décennie parce que sans conséquence aucune, quand ça devient un enjeu, tout d’un coup, je ne sais plus faire. Alors je regarde le temps passer. Bientôt, de toute façon, tout ça sera derrière moi. Il me suffit d’attendre. Et de faire de mon mieux.

Fleur de peau

Même les bouquets de nerfs se fanent et s’effritent.

Le cortisol distillé en continu mime les œstrogènes pubertaires ; les pics d’adrénaline tiennent lieu d’amphétamines. Et l’activité cérébrale intense se met à stimuler le relargage d’ocytocine. Pleurs et entrechats alternent aussi sûrement que pluie et soleil en Armorique ; Les larmes de joie dessinent les arcs-en-ciel.

Après une bonne décennie, c’est à nouveau le bordel des ressentis. Désespoir sans fond, ilots de sérénité, angoisse tétanisante, fierté rayonnante, doute omniprésent, plaisirs à la volée, culpabilité Carabosse qui repointe le bout de sa baguette maudite, shoots d’euphorie. Manque l’insouciance, partie en congés longue durée. Elle n’aime pas vraiment les idées fixes, les dates butoir ni les chaises musicales.

Et contre toute attente, une nouvelle métamorphose s’amorce. Une nymphe studieuse et opiniâtre s’étonne de se découvrir un brin masochiste. Évolution  ou élimination, ça vaut pour tout, finalement.

Les bouquets de nerfs finissent enfin par bourgeonner, peut être donneront-ils quelques fleurs.