Plus qu’une minute avant la fin. La fin du monde? Non, certainement pas, le monde continue sa petite route, même si ça m’arrangerait bien que cette dernière minute soit la sienne. Non, cette minute passera très certainement complètement inaperçue par vous tous. Pour moi, ce sera l’angoisse, une angoisse à la fois interminable et à la fois terriblement vite finie, puisque c’est l’échéance même de cette minute qui m’angoisse tant. Enfin, qui m’angoisse… Oui, c’est bien de l’angoisse, qui me tord le ventre et me bloque la gorge. Je prie pour que mes mains ne soient pas trop moites.
Plus que trente secondes avant la fin. Trente secondes avant que la musique ne s’arrête. Trente secondes avant que tout le monde ne voit à quel point elle me plaît. Trente secondes avant que je n’ose lui déclarer ma flamme. Ou que je laisse passer l’occasion, je ne sais pas encore. J’avais décidé de me jeter à l’eau à la fin de la danse, la seule qu’elle ait voulu m’accorder. Je n’aurai que peu de temps avant que, volage, elle file vers d’autres bras. Pour l’instant, j’essaie de me concentrer. Ne pas lui marcher sur les pieds. Ne pas trop la serrer, ou ça va la faire fuir. Rester en rythme, ce serait con de passer pour un mauvais danseur maintenant. Je me concentre aussi sur ce que je vais bien pouvoir lui dire, dans… vingt secondes maintenant. Ou ce que je vais faire. Je ne sais pas. Dans tous les cas, je serai ridicule. Dans tous les cas, dans une dizaine de secondes, elle va s’échapper. M’échapper. J’essaie tant bien que mal de me concentrer sur la sensation de sa main sur mon épaule, je ne sais plus comment profiter de ce laps de temps qui me ravit et m’angoisse.
La musique est finie. Je ne l’ai pas lâchée. je n’ai rien dit non plus. Rien fait. Je crois que j’ai gagné quelques secondes de rab.