Elle parle et personne ne répond. D’un point de vue physique, sa voix est parfaitement audible, pourtant ses paroles ne franchissent pas les limites de notre perception, ou si peu. Quand par hasard, ou inattention, c’est le cas, vite, notre barrière mentale se dresse. Et nous ne l’entendons même plus. Alors elle parle seule, enfin, je suppose qu’elle nous parle mais n’attend plus de réponse. Elle raconte des choses de sa vie qui n’intéressent qu’elle, peut être pour avoir l’impression de les partager quand même… Quand on la voit, on serait prêt à changer de trottoir si ça n’était pas aussi voyant. Mais ne montrons pas que nous l’avons vue. La tête haute, notre indifférence, regard au loin, est tellement plus marquée si l’on sait réfréner nos mouvements de peur, de dégoût, de pitié, de jugement.
Avec son caddy qu’elle pousse, ses marmonnements nous dérangent. On sent que ses paroles, vaines mais constantes, sont quelque part importantes. Au moins pour elle. Mais à vrai dire, on ne peut pas le savoir, puisque nous ne l’entendons pas. Perdus dans nos pensées, qui, soyons décents, ne franchissent pas le seuil de nos lèvres, nous notons à peine sa position, principalement dans le but totalement inconscient d’adopter le comportement social adéquat. A savoir un oubli anticipé d’une partie de notre champ visuel, une tache floutée, une sourdine nous permettant de poursuivre notre journée sans surcharge émotionnelle.