Nénette et Jean, c’était avant tout un lieu : c’était Caissargues, la mer, la chaleur écrasante, c’était des heures de route, souvent de nuit et en musique pour que les trois filles dorment et ne chahutent pas. Nénette et Jean, c’était l’été, les Passeport et les Incollables comme devoirs de vacances, les après-midis qui traînent en longueur. Les petits chevaux et les UNO avec Nénette, Jean au jardin ou à la bibliothèque. C’était un verre d’Oasis dans la pénombre de la cuisine, des heures à jouer au ballon, à sortir en vélo avec un périmètre s’élargissant au fil des ans. C’étaient les insectes hors normes de la campagne pour trois citadines, le chant des cigales, les flamands roses, les balades à cheval et le bruissement des nuits étoilées.
Nénette et Jean, c’étaient des grands-parents intermittents. On aimait quand Jean faisait bouger ses oreilles, moins quand il imposait un silence pesant pendant l’après-midi. J’aurais tant à écouter de lui maintenant que je suis adulte, mais il transmettait si peu aux enfants bien vives que nous étions alors. On attendait impatiemment que Nénette nous appelle pour le goûter ou tienne la banque du Monopoly, mais on riait sous cape quand elle usait d’une surdité sélective pour ne pas nous répondre.
Nénette sans Jean, c’est la maison vendue avec ce qu’il restait de souvenirs dedans. C’est le réaménagement du 121, les liens ténus qui se distendent encore. Nénette sans Jean, c’est une grosse part de solitude, les conversations décousues et les prénoms interchangeables. C’est un sourire sincère et un étonnement sans cesse renouvelé devant le temps qui passe et les filles qui grandissent, d’autant que la marche est chaque année plus haute pour elle qui se souvient surtout de gamines pré-pubères. C’est un air embarrassé, les adultes regardant leurs pieds quand ses propos hachés s’affranchissent de toute logique, quand la raison prend le large pour des voyages toujours plus longs. Nénette sans Jean, c’est une occasion manquée, une grand-mère et une femme au bout du compte un peu étrangères.
Nénette est partie mais cela fait bien longtemps qu’il est trop tard pour les regrets ; elle restera dans ma mémoire une ombre ancrée dans un autre espace-temps, associée au sucre poisseux des crêpes Nutella, et au sel sur la peau de l’enfance.