Au détour d’une rue, en descendant du bus, ou bien en coupant par un parc, je me retrouve nez à nez avec une scène de banale violence urbaine. Une bagarre entre deux jeunes avinés, un affrontement entre deux bandes rivales, les menaces d’un patron de bar à un client trop agité, les coups de gueule et de poings de quelques sans-attaches. Le plus souvent à mains nues, plus rarement avec une arme de fortune, bouteille de verre, un barreau de chaise, une ceinture.
Malgré moi, j’entends le choc sourd d’une tête heurtant le pavé, les bruits mats de pieds frappant le ventre, couverts par les flots d’injures hurlées, les cris des deux côtés. Malgré moi, je vois le sang sur la figure de l’un des belligérants, j’aperçois les empoignades, les amas de mains, de pieds se débattant, je regarde la scène trop mouvante et pourtant au ralenti. Les images impriment ma rétine, mon lobe occipital, mon système limbique, ma mémoire à long terme.
A chaque fois, ma peau se hérisse, mon cœur se soulève, l’enfant impuissant qui sommeille en moi refait surface. Et chaque coup qui tombe sur un autre que moi marque sa chair et mon cœur. Ressurgissent d’autres scènes où devant les coups, l’enfant impuissant ne pouvait que regarder de ses yeux écarquillés, acte stupide de solidarité s’il en est, pour assimiler la violence qui touche l’autre. Pour essayer de la comprendre. Pour essayer de passer outre l’injustice arbitraire qui lui permet d’être témoin et non victime. Pour au moins savoir.