Fermer les yeux. M’arrêter là. Suspendue entre deux tic-tac de l’horloge. Entre ces sempiternelles secondes qui m’éloignent inexorablement de toi et me rapprochent du néant où je te rejoindrai enfin. Juste arrêter. Pas de batailles, pas de plans, pas de déceptions, pas de petits pas, pas de torrents de larmes, pas d’océans de solitude, pas de petites victoires éphémères et si vaines, pas de course contre la montre. Même pas de repos. Juste rien. Ce rien sans retour où tu es parti sans moi. Un pas à franchir. Un canyon à traverser. Où ? Quand ?
Et ce corps qui s’entête à fonctionner. Le cœur qui bat, le diaphragme qui ouvre les poumons. La peau qui se fait chair de poule sous l’émotion, les muscles qui chauffent dans l’effort. Le sel qui coule des yeux, le froid qui transit les extrémités au fond du lit glacé. Les mots qui glissent de ma plume. Le trou béant au fond du ventre qui cherche désespérément à se combler. Et même l’amour qui gonfle devant les petites bouilles des minous et des minots que je regarde jouer.
Ce corps qui me porte chaque jour un peu plus loin, presque malgré moi. Qui sait mieux que moi ce dont j’ai besoin. Qui marche au radar vers la lumière et un peu de chaleur. Je n’ai qu’à le suivre, il veille sur moi. Mais quand déclarera-t-il forfait ? Quand jugera-t-il qu’on a assez souffert, qu’on s’est assez battus, qu’on n’est pas si forts que ça, qu’on peut s’arrêter là ? Que si le monde peut tourner sans toi, alors il peut aussi bien se passer de moi ? Sans chercher à trahir ce corps qui se démène et qui me guide, combien de temps encore ? Avant de pouvoir enfin cesser, moi aussi ? Combien de temps à vivre sans toi ?