Un mot après l’autre, il apprend à parler, comme il a déjà appris à marcher. Les idées, les concepts, les noms se bousculent dans sa tête mais il a encore du mal à articuler. Impuissant, il doit se contenter d’essayer, encore et encore, de former les mots corrects qui lui permettront un jour de se faire comprendre et de donner corps à ses pensées.
Et puis c’est l’explosion. Il se rend compte qu’en les nommant, il prend du pouvoir sur les gens, sur les choses, sur le monde. Lorsqu’enfin son corps le soutient, il laisse libre cours à son plaisir de parler, de communiquer avec tout et n’importe quoi, sans nécessairement attendre de réponse.
En grandissant, il se calme un peu, réalise que le pouvoir qu’il a sur le monde le tient aussi : comme il entend ce qu’on lui demande, il se doit d’obéir à ce langage qui jusque là le ravissait. Les mots des autres répondent aux siens, le contrant, le bridant, le cadrant et formatant son esprit, son développement. Il est un temps désabusé, avant de chercher à contourner cette nouvelle contrainte. Il prend alors goût au mot juste, à la tournure particulière, à tous les trucs et astuces qui lui donneront l’avantage sur d’autres plus forts mais moins aptes à jongler avec les mots.
Lorsqu’il aura affûté son arme, il ne s’en servira plus que pour de belles parades, galas de connaisseurs où il aura pris sa place. Le son des mots, la musique des phrases le transportera. Écrivain, poète il deviendra.