Un mot par-ci, une expression par-là, tout d’un coup, clic, un déclic et les mots coulent d’eux mêmes. Comblé le vide de l’écran blanc, le pointeur qui clignote pour me rappeler qu’un mot attend ici d’être posé. Les caractères s’enchaînent, les idées se déversent, passent directement d’une partie lointaine de ma conscience au support qui les recueille, qui les stocke, les fige. Et puis, bam, c’est la butée, le mot récalcitrant, celui qui se cache, qui se fait désirer, qui ne veut pas travailler. À moi d’aller le chercher, de prendre mon temps pour l’amadouer, le convaincre de prendre sa place parmi les autres. Une fois que le flot coule à nouveau, je dois alors m’interroger sur la cohérence du tout. Est-ce que la vue d’ensemble est sympathique? Comme sur l’éternelle photo de classe, une fois que les éléments sont là, il faut les réorganiser pour mettre en valeur tout le monde, pour qu’on ne passe pas à côté du petit qui se cache dans l’ombre rassurante de son camarade. Et lorsqu’enfin le texte a pris sa forme, une fois qu’il est prêt à vivre sans moi, je dois l’admettre, lui donner la permission de partir, ne pas chercher à toujours l’améliorer ou le dénaturer mais oser le laisser véhiculer seul ce que je prenais pour la création de mon esprit. Trop tard. Déjà il s’envole, et comme il s’est imposé à moi, le voilà qui cherche à s’immiscer dans la tête d’autres gens, les convaincre que ses mots sont aussi les leurs, ou bien déclencher leur hostilité. Mais en aucun cas ces autres personnes ne pourront relier les mots qui les pénètrent avec ceux qui, l’espace d’un instant, sont nés dans les limbes de mes pensées. De la même manière qu’un enfant, aussi proche ou contrasté qu’il soit avec ses parents, ne sera jamais leur reflet aux yeux du monde.