Vendre son âme

Cela fait des mois que Marie se prépare. Quand elle a lu l’annonce, elle s’est dit “après tout, pourquoi pas?”. À quelques détails près, elle remplissait toutes les conditions. Et pour ce qui lui manquait, il lui suffisait d’être patiente. Ainsi, Marie décida de devenir un modèle de vertu. Heureusement pour elle, elle n’était pas encore compromise, et la liste des pêchés à effacer était relativement courte : quelques mensonges pour préserver un peu son intimité, le vol d’une pomme pour nourrir son petit frère, et c’est tout. Elle commença donc par travailler pour rembourser ladite pomme au vendeur. Pour les mensonges, elle décida de n’en plus dire, mais pensa que rectifier le tir maintenant était trop tard. Elle se dit qu’avec une période suffisamment longue de pénitence, elle compenserait.

Après quelques mois de cette vie exemplaire, elle se sentait prête. Elle pouvait citer de mémoire une bonne cinquantaine de bonnes actions accomplies pendant ce laps de temps et n’avait cédé à aucune tentation. Dans sa tête, elle imaginait quelques questions qu’on lui poserait et les réponses qu’elle ferait. C’était vraiment le bon moment.

Alors, après avoir vérifié l’adresse une dernière fois, elle rajuste le col de sa robe, prend une grande inspiration et pousse la porte de l’office. Elle se dirige vers l’accueil et se présente. On lui dit de patienter, que quelqu’un va la recevoir. Quelques minutes plus tard, un adolescent au look androgyne lui demande de l’accompagner, ce qu’elle fait. Il lui pose quelques questions sur sa vie et les motivations qui la poussent à faire ce qu’elle s’apprête à faire. Bien préparée, elle répond simplement que cet échange devrait assurer assez d’argent à sa famille pour que les siens ne manquent de rien sur plusieurs générations, et que cela valait bien son sacrifice. Devant l’air gêné de celui qu’elle identifie comme un DRH, elle ajouta rapidement qu’elle ne considérait pas cela comme un vrai sacrifice, mais comme un moyen de s’épanouir, de se sentir utile. Elle sent qu’elle s’empêtre et finit par se taire, le rouge aux joues.

L’employé la rassure en lui disant qu’elle est la seule à avoir répondu à l’offre et qu’en plus du deal annoncé, il se pourrait qu’il ait un bonus pour elle, si elle est intéressée, évidemment. Reprenant contenance, Marie cherche à savoir si son interlocuteur l’embobine ou pas. Elle lui rappelle donc les termes de l’annonce et attend confirmation. Un ange passe et dépose sur le bureau un contrat que Marie lit. Elle écarquille les yeux en lisant à combien se chiffre la vente de son âme. Elle ne pensait pas être à ce point vertueuse. Son âme va se monnayer très cher, et il n’y a pas à dire, ils ne sont pas radins là-haut. Son engagement à elle n’est pas trop prenant non plus : continuer sur sa voie pieuse et devenir une sorte d’idole. Pas si dur que ça finalement. Marie sourit en pensant à ce que ça peut impliquer. En regardant les annexes, elle comprend que le bonus n’est pas mauvais non plus : on lui fournit un enfant, qui sera lui aussi adulé, assurant la renommée de sa famille à travers les siècles, et un mari, pour garantir sa réputation. Marie cherche un crayon dans son sac et signe aussitôt.

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