Monsieur Dupré est médecin depuis bientôt vingt huit ans, mais il n’avait encore jamais vu ça… Une de ses patientes, d’une quinzaine d’années, est venue le voir pour un coup de soleil. Il s’est dit qu’il n’y avait pas de problème particulier et s’apprêtait à lui prescrire de la biafine quand il a vu la demoiselle arriver. Il s’est immédiatement rendu compte qu’en plus de ses coups de soleil, particulièrement étendus, elle souffrait d’une acnée presque purulente, avec des boutons qui oscillaient de la couleur rouge à blanchâtre, en passant par le jaune pus, couleur qui se démarquait particulièrement sur le rouge brûlé.
Il pense que l’adolescente a dû s’habituer à son acnée, mais quand même il l’enverrait bien chez un dermato… Et puis, en la regardant de plus près, il réprime un haut le cœur. Un peu de professionnalisme, tout de même. Mais ce qu’il voit présentement le révulse littéralement, même si le scientifique enfoui au fond de lui semble fasciné (de manière tout à fait morbide, il en a conscience).
Sous le rouge du coup de soleil, entre les boutons jaunâtres, presque en filigrane, des points blancs, de cinq millimètres à un centimètre de diamètre sont disséminés sur la surface de sa peau. Ils ressemblent à des cloques, mais à y regarder de plus près encore, et là, Monsieur Dupré doit se forcer à ne pas détourner la tête, on s’aperçoit que ces cloques semblent bouger un peu, comme si elles étaient pleines d’un liquide quelconque. Il demande à la jeune fille si elle sait ce que peuvent être ces cloques, elle lui répond qu’elle pensait que c’était lié au coup de soleil, des cloques de brûlures. Il comprend mieux pourquoi elle consultait pour “un coup de soleil”. Il lui demande alors de ne pas regarder et s’arme de courage. Avec un scalpel stérilisé, il découpe le bord d’une des cloques, pour faire sortir le pus qu’il pense y trouver. A peine a-t-il perforé la peau qu’un flot de minuscules araignées s’échappe par l’orifice. Monsieur Dupré manque de vomir, mais voyant que la jeune fille est sur le point de s’évanouir, il prend sur lui et s’occupe d’elle.
Lorsque l’ambulance arrive pour amener sa patiente à l’hôpital, Monsieur Dupré ferme son cabinet, conduit jusqu’à la plage déserte en cette saison, et hurle son dégoût, son horreur à l’océan. Il voudrait prendre sa retraite pour ne plus jamais voir ça, mais il va devoir continuer à soigner ses patients, qui comptent sur lui, comme si rien ne s’était passé, sachant qu’un jour il pourrait revivre cette scène. Cette pensée lui donne la chair de poule. Il ne dormira pas ce soir.