La montre au poignet, l’œil sur l’écran, il mange des chips et lit entre deux réunions ce qu’il trouve sur internet. En général, il n’aime pas être dérangé dans ces moments-là, qu’il appelle des pauses. Pauses où, tel un glouton, il avale, les yeux écarquillés, les derniers buzz du moment. Surtout rien qui dépasse les quatre minutes, sa capacité d’attention et son chef n’apprécient pas. Il éclate de rire silencieusement, se tape la cuisse et transfère ses trouvailles à ses collègues. Puis se replonge pour une demi-heure dans son travail fastidieux.
Le jour de la Grande Panne de Courant, il était à son poste. Il n’a tout d’abord pas compris ce qui se passait. A essayé de rebrancher son ordinateur, a vérifié tous les cables, a rallumé trois fois ce qui pouvait l’être. Puis ses collègues sont venus le chercher, pour une pause café inopinée. Café froid, mais café quand même. Il regardait sa montre toutes les deux minutes et vérifiait son cerveau de substitution à tout bout de champ, des fois qu’il apprenne avant les autres que les extra-terrestres avaient débarqué dans sa ville, coupant net tout courant.
La pause s’est éternisée. N’étant pas couverts par l’assurance, les employés n’avaient pas le droit de sortir pendant leur heures de travail supposées. Avec l’ascenseur en panne et pas de lumière, il préférait rester devant les baies de la salle de réunion avec les autres. Quand il a commencé à rationner sa batterie, il s’est rendu compte qu’il n’était plus tout à fait avec les autres. Qui avaient l’air de très bien prendre la chose, se lançant des boutades, profitant de ces instants d’intimité partagées pour se détendre réellement. Il comprit tout d’un coup que c’était habituel chez eux. Chaque jour, ces hommes et ces femmes laissaient derrière eux leurs écrans, lâchaient l’horloge du regard, coupaient contact avec leur si précieux réseau pour se retrouver. Il trouva cela étrange. Quelques heures plus tard, quand il fut temps pour eux de rentrer chez eux, il se sentit grisé. Il se promit de recommencer le lendemain, à la première occasion. Et oublia quand il vit le nombre de mails non lus dans sa boîte de réception.