Après un dernier regard, je les ai laissées là. Vivantes. Tourbillonnantes. Arborant leur insouciance en un flamboyant étendard blanc. La grande en charge de veiller sur la petite. La petite garante de la moralité de la grande. Deux anges virevoltant, le rose aux joues et le cœur battant. Au milieu de la foule en liesse, je ne voyais qu’elles. Pour ne pas leur faire de tort, je les ai laissées seules, qu’elles profitent de la fête sans moi.
À l’heure dite, je suis revenu les chercher pour les ramener à la maison. J’imaginais leur fatigue après une nuit passée à danser, oubliant pour un temps répression et restrictions. Après l’abandon transitoire de leur masque de perfection, de vertu, de jeunes adultes trop tôt mûries, elles trouveront réconfort et sécurité auprès de moi, comme toujours.
À deux rues de la boîte de nuit, j’entends les sirènes arrivant à toute allure. Panique totale, mon estomac convulse et expulse son contenu tandis que j’accélère. Les cordons de sécurité sont déjà installés, la discothèque est bouclée. Rumeurs dans la foule assemblée. Le tireur a été abattu par la police. On ne connaît pas le nombre de victimes. On ne connaît pas ses motivations. On attend de plus amples informations. On nous prie de dégager le périmètre. On m’arrache au bitume auquel je m’accroche comme à une bouée en plein océan. On me tranquillise de force chimiquement. On m’abrutit. Dans mes yeux s’incruste, alors que je lâche prise, la vision de mes deux étoiles étincelantes, souriantes, éclatantes, vibrantes. Vivantes.