Parenthèse

Le jour où je l’ai rencontré, je prenais le train pour me rendre à un enterrement qui s’annonçait éprouvant. J’étais supposée arriver le soir pour passer un peu de temps avec ma famille et nous devions partir tous ensemble le matin pour les funérailles. Changement à Paris, un quart d’heure de retard. Le temps de ma correspondance. Arrivée sur le quai, je vois que mon second train est parti, il y a tout juste deux minutes. Une boule dans la gorge, agacée, fatiguée, au bord des larmes, je suis baladée de guichet en guichet pour essayer de partir par le prochain train. Glaçante réalité : le train suivant ne part que le lendemain, à 6h. La voix en trémolos, plus de batterie dans le portable pour prévenir ceux qui m’attendent, je demande comment je suis censée faire, je ne vais quand même pas dormir à la gare. On me propose un hôtel, mais peut être pas, parce que le délai minimum d’une correspondance sur Paris est d’une demi-heure et que c’est sûrement de ma faute si j’ai choisi ces trains-là, un quart d’heure c’est bien trop court pour changer ici. Je me retiens pour ne pas crier, je m’excuse de mon agacement plus que visible, j’explique que si je m’énerve, c’est contre l’institution, pas contre la personne assise devant moi. Et je montre mon billet de train, qui indique bien une correspondance trop courte. Mon billet. Qui me sauve et me permet de bénéficier d’une nuit d’hôtel payée par la SNCF. Si j’en avais eu deux, on aurait considéré que j’avais choisi ce délai trop court et la SNCF serait dédouanée, quand bien même ce seraient les seuls trains proposés pour le trajet voulu.

C’est exactement ce qui arrive au jeune homme qui se présente au guichet, entouré de cinq gros sacs, débordé, désabusé. Il a fait exactement la même chose que moi, mais la machine lui a sorti deux billets au lieu d’un. Ce n’est donc pas une correspondance, mais de l’inconscience de sa part. S’il veut dormir à l’hôtel il en sera pour ses frais. Et un hôtel près de la gare, ça coûte cher, surtout qu’il parait vraiment bien jeune pour pouvoir se l’offrir. Timidement, je lui propose qu’on partage ma chambre. Embarrassé mais reconnaissant, il accepte.

Arrivés à l’hôtel, tout est en ordre pour moi, les réceptionnistes sont avertis et la chambre est payée. Il faut rajouter dix euros pour le jeune homme. C’est raisonnable, dix euros pour une nuit au Mercure. La chambre est spacieuse, mais ne contient qu’un grand lit. On se regarde, il faudra partager. Pas si grave après tout. Sauf que (oups) j’ai oublié mon pyjama. On s’arrange, il me prête un short, légèrement trop petit, et un t-shirt. Ça fera l’affaire, de toutes façons, il ne sera pas très regardant, si?

Pour me remercier de mon geste, le jeune homme m’invite au restaurant. On commence à discuter, j’apprends qu’il est sommelier à seulement dix neuf ans, qu’il a déjà travaillé dans plusieurs villes et qu’actuellement, il déménage de Brest à Châtellerault. En train, donc. La soirée, contre toute attente, devient agréable. Je mets de côté ma tristesse et profite de ce répit avec mon compagnon d’une nuit.

Un peu trop vite arrive l’heure de se coucher, il ne faudrait surtout pas oublier de se réveiller sur le coup des cinq heures du matin pour avoir, finalement, notre train. Je passe la nuit sans oser bouger, toute droite dans ma portion de lit, de peur de toucher par inadvertance ce jeune corps endormi à mes côtés. Quand le réveil sonne, je file à la douche, les yeux ensommeillés. Je ne ressemble pas à grand chose. Je m’habille de noir mais ne suis pas vraiment prête pour la journée qui m’attend. Ensemble, on se dirige vers la gare, je l’aide à porter son si lourd bagage. Il nous reste deux heures de train pour évoquer au pied levé les anecdotes de nos vies qu’on a encore envie de partager avec un presque inconnu.

Quand le train arrive en gare, la réalité me rattrape. La journée sera très dure. Mais je garde en mémoire les instants partagés avec un jeune homme qui s’est employé à me changer les idées, échangeant le couvert et l’écoute contre le gîte et la curiosité.

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