La toute première fois, je ne m’y attendais tellement pas que je n’ai su réagir. Ton insulte était soudaine, blessante et imméritée, mais je n’ai rien trouvé à te répondre. J’ai baissé les yeux et j’ai fui, pour tenter d’oublier ce que tu venais de dire. Te trouver une excuse. Tu ne le pensais certainement pas. Tes mots ont dépassé ta pensée et tu t’en voulais trop pour demander pardon. Je n’ai jamais remis ça sur le tapis. Si tout redevenait comme avant, pourquoi tout gâcher avec cet incident?
À la première claque que tu m’as donnée, les bras m’en sont restés ballants. Incapable de riposter. Je ne pouvais certainement pas te rendre la pareille. Encore une fois, j’ai pris la faute sur moi. J’avais dû te pousser à bout, tu ne te rendais pas compte de ta force et tu n’avais pas voulu me faire mal.
Par la suite, tu as su te servir de ces deux attaques non vengées, non expliquées, non dénoncées. Puisque je n’avais rien dit, tu as pris de l’assurance. Quand j’ai tenté de réagir les fois suivantes, tu m’as raillé, me rappelant que je m’étais bien laissé faire par le passé. Dès que l’occasion se présentait, tu me rabaissais. Tu me remettais en place à chaque tentative de rébellion. Dans l’intimité d’abord, puis publiquement. Dans ma honte, je ne savais plus que faire. Je t’excusais sans cesse devant nos amis, puis j’ai arrêté de les voir, même s’ils me changeaient les idées. J’ai compris rapidement que tes sautes d’humeur passaient plus vite si j’admettais que j’étais à ta merci. J’ai déposé les armes, je t’ai donné ma soumission.
Bizarrement, ça ne semblait pas te faire plaisir. Au fil du temps, ce qui semblait te convenir a fini par te dégoûter. Incapable de me défendre, je ne t’intéressais plus. Tu lançais sporadiquement tes assauts, mais tu manquais de conviction. Proie trop facile peut être, j’étais déjà moins qu’un jouet, un abject petit cafard que tu regardais comme tel. J’ai moi-même foulé aux pieds le peu de dignité qu’il me restait. Pour tenter de te garder. Tu avais réussi à être toute ma vie. Je n’existais plus en dehors de toi. Si je te perdais, je ne serais plus rien du tout.
Quand tu t’es finalement lassée de ce cirque, que tu m’as jeté hors de notre maison après une ultime bagarre et une terrible humiliation, j’ai cru mourir. Il m’a fallu plusieurs années pour comprendre que je pouvais m’en sortir seul. Que je valais quelque chose. Que tu avais détruit une grande part de moi par tes coups et plus encore par ton mépris. Que, malgré tout ce que j’ai laissé faire, je ne méritais pas cela. Aujourd’hui encore, mes relations aux autres sont faussées. Trop soumis ou dominant, j’oscille mais ne trouve jamais l’équilibre. Si l’égalité reste une chimère pour moi, j’aspire juste maintenant à me trouver meilleure dépendance que toi.