Plus seulement qu’un souffle

Quand vient notre dernière heure, que notre espérance de vie se compte en minutes, puis en secondes, quand nous avons le temps de nous voir partir, l’important, c’est de se concentrer sur notre dernier soupir. Si l’on a la chance d’être accompagné dans cet instant, il ne faut pas décevoir notre public, garder en tête qu’eux se souviendront des années encore de la manière dont on est partis, de ce dernier râle exhalant de notre corps déjà prêt à se décomposer.

Il y a ceux qui partent discrètement, qui ne marquent pas le moment et dont on remarque la mort non pas par leur dernier souffle, mais parce qu’il n’y en a plus d’autre. Il y a ceux qui, à vouloir trop en faire, à essayer de prononcer leurs derniers mots en même temps que leur heure vient, n’émettent qu’un gargouillement mouillé et partent en sachant qu’ils ont raté leur sortie. Il y a ceux encore qui, champions de la coordination, arrivent à fermer les yeux sur leur dernière expiration, ne laissant ainsi aucun doute subsister.

Je pense à tout cela sur mon lit d’hôpital, je sens que je n’en ai plus pour longtemps mais je pense que je vais encore passer la nuit. La morphine faisant effet, je me sens presque bien, et comme j’ai réglé ces derniers jours mes affaires en suspens, je suis presque serein. Je n’ai plus qu’à me concentrer à partir de maintenant sur mes derniers instants, je sais que ma famille n’est pas loin et accourra au moindre appel de l’hôpital. Je leur ai déjà dit cent fois combien je les aimais et de ne pas pleurer ma mort, qui est pour moi maintenant comme une délivrance. J’aimerais partir simplement, paisiblement, pour qu’ils ne gardent en mémoire que mon regard enfin calme.

Tandis que je commence à somnoler, j’entends au loin un sifflement rauque et une alarme, puis j’entrevois un nuage de médecins, d’infirmiers, d’aide-soignants se précipiter dans ma chambre. Mon fils entre également en courant, mais je ne comprends pas pourquoi il a l’air bouleversé. Puis tandis que je m’enfonce un peu plus dans le sommeil, je comprends dans un éclair de lucidité. Le sifflement rauque vient de ma gorge asséchée. Avec la dose de morphine que je me suis auto-injecté, je n’ai pas réalisé que j’étais en réalité en train de m’étouffer. Dans un sursaut, j’essaie de me raccrocher à la vie, de ne pas partir en produisant un horrible son de cocotte-minute. Je ne sais pas si mes mouvements sont coordonnés, je ne sais même pas s’ils sont dignes, je me débats dans les ténebres qui m’entourent, jusqu’à ce que je me sente coupé de tout.

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