Parfaite petite cuisinière à douze ans, c’est près de toi que j’ai appris le plaisir des bonnes choses. Lécher la pâte crue pendant que tu enfournais le gâteau du quatre heures. La fabrication de glaces à l’eau. La cuisson parfaite du fondant au chocolat. Et la présentation irréprochable, que je ne maîtriserai jamais aussi bien que toi.
Dès que l’occasion se présentait, tu étais grande sœur jusqu’au bout des ongles. Surveillance plus que laxiste pour m’apprendre à dire non moi-même. Leçons de maquillage à treize ans, qui m’en faisaient paraître seize. Leçons de choses pour me mettre à la page du vocabulaire et des mœurs de mes pairs. Et puis les leçons de morale à toutes les deux, pour montrer que c’était toi la grande. Sans oublier les inénarrables “j’ai eu les parents pour moi toute seule pendant trois ans” qu’on ne manquera pas de te ressortir à bon escient.
Un peu trop souvent, tu endossais le rôle de ménagère qui manquait tant à la maison. Maîtresse très contestée en son domaine, tu n’en étais pas moins organisée, efficace, pleine de bon sens. Tu faisais tourner l’affaire, recousais les vêtements, cuisinais et lavais, bien souvent de bonne grâce, parfois la rage au cœur. Indispensable à tous, tu en profitais pour distribuer les tâches que tu jugeais ingrates, en espérant que ça passe, parce que tu n’allais quand même pas tout faire.
Dans quelques accès de colère, tu redevenais illico l’enfant que tu étais censée être. Crises de jalousies, scandant le “c’est pas juste, je devrais avoir plus de droits, avec tout ce que je fais pour vous”. Bouderies, arbitraire, tentatives de despotisme et pour finir, la raison qui revient. Tu retrouvais ta place, que tu avais bien du mal à définir mais que tu n’aurais finalement échangé pour rien au monde.