Je voulais tant être insomniaque

Disposer de vingt-quatre heures par jour, ça me faisait rêver. Vivre deux vies parallèles. Une vie sociale, comme tout le monde, faite de contraintes et de plaisirs partagés, et une vie secrète, connue de moi seul. Un peu façon Dr. Jeckyll et Mr. Hyde, en moins flippant.

Un jour, donc, j’ai décidé de ne plus dormir. Les yeux grands ouverts, j’ai ressassé. Meilleur moyen, parait-il, pour que le sommeil nous fuie. Ressassant tout et n’importe quoi, j’ai fini par sombrer dans le plus lourd sommeil que j’aie connu depuis longtemps. Raté, mais reposant.

Le deuxième jour, j’ai changé de tactique. J’ai insulté mon patron, dragué la sœur de ma copine et fait euthanasier mon chien. J’ai bu pour oublier tout ça et j’ai fini au poste. Mais ça a marché.

Le premier mois d’insomnies, je n’ai fait que pleurer. Jours et nuits, je m’apitoyais sur mon sort et ne fermais plus les yeux. Un peu lassant à la longue. Par la suite, j’ai essayé d’utiliser mon malheur comme force créatrice. Après avoir divulgué mon mal-être par tous les moyens possibles, après avoir hurlé ma culpabilité sur tous les médias, le filon s’est tari. Je me suis vidé de toute inspiration. Allez donc peindre, écrire, penser seulement, quand tout votre corps vous hurle qu’il n’en peut plus. Quand vos yeux écarquillés ne voient plus rien. Quand le monde s’assourdit, ne parvient à vous que comme à travers un voile. Quand votre système digestif se met en grève. Quand vous n’avez plus goût à rien, hébété à l’idée de seulement imaginer ressentir une sensation. À ce moment, enfin, j’aurais pu comprendre tout ce que j’avais perdu en tentant de jouir de tout mon temps.

J’ai eu beau prier, j’ai eu beau chercher, je n’ai jamais retrouvé le sommeil. Mais je n’ai jamais pu non plus apprendre à m’en passer. Mes souvenirs déjà me semblent appartenir à des rêves où le monde ne serait pas estompé, dilué dans les heures supplémentaires de veille que j’avais si chèrement acquises. Et la réalité finit par me quitter, comme tant d’autres avant elle.

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