Nous sommes arrivés il y a trois heures et demie pour mettre en place le décor, nous costumer, nous maquiller et attendre dans le calme relatif des coulisses. Notre niveau de trac est inversement proportionnel à la quantité de choses à préparer. Lorsque nous pensons être prêts (évidemment non, nous ne serons jamais prêts, mais lorsque nous pensons que nous ne pouvons rien faire de plus), le stress est à son comble. Il ne reste que dix minutes avant l’arrivée du public, environ une demie heure avant le début de la pièce. Sophie, Anna, Pierre et Robin s’isolent, Maria, Stan et Julie ont besoin de contact pour ne pas paniquer. Moi, je savoure ce moment où il n’y a plus qu’à attendre que la magie opère. Les minutes filent comme des secondes, déjà le public s’installe petit à petit. Il faut penser à rester invisibles, mais on entend l’agitation, le bruit des conversations courantes, rires à peine étouffés. Pour eux une soirée banale. Un ciné, un bowling, une pièce de théâtre amateur, peu importe du moment qu’ils passent un bon moment ensembles. Pour nous les ventres noués. Et si on était mauvais, et si nos collègues de travail étaient là, et si notre idée n’avait rien d’original, et si le petit nouveau si mignon me voyait me ridiculiser…
Alors je ne résiste plus, je m’approche du rideau, l’écarte à peine, juste assez pour entrevoir le public, et des yeux je parcours l’assistance en quête d’une tête familière. J’aperçois ma famille, elle est dans le fond, pas super bien placée, j’espère qu’ils ne rateront pas les moments-clé. Mon voisin est au premier rang, à croire qu’il est arrivé bien en avance… Je ne trouve pas mes amis, peut être qu’ils ne viendront pas finalement… Je ne sais pas si ça me rassure ou me désespère, je suis un peu déçue en fait… Je referme le rideau, retourne en coulisses, vérifie les costumes de mes partenaires, leur demande de tout vérifier pour moi.
Il est l’heure, le metteur en scène annonce la pièce au public. Vite, faire le vide dans ma tête. Vite, me placer au bon endroit. Vite, me rappeler mes premières répliques. Trop tard, les coups sont frappés et le rideau se lève.