En me réveillant ce matin, je me sens vraiment bizarre. J’ai beaucoup de mal à émerger, comme si mes yeux étaient collés, mes membres engourdis. Je m’étire difficilement, je ne reconnais pas les sensations que j’éprouve, comme si je n’étais plus moi. Lorsque j’ouvre les yeux, j’ai l’impression de tout voir pour la première fois. Je ne reconnais pas les couleurs, tout est si éblouissant !
Je cherche des yeux mes camarades, et ne les trouve pas. Lorsque j’essaie de marcher pour partir à leur recherche, je ne contrôle pas mes mouvements. Je manque de tomber et me rattrape in extremis en écartant mes ailes. Mes ailes?! Je tourne la tête et tombe de stupeur. Deux immenses ailes sont accrochées à mon buste. Deux magnifiques ailes blanches, légèrement bleutées et qui me paraissent fripées. Je m’imagine en train de les bouger, et, miracle, il semblerait que je les contrôle. En tous cas, elles battent légèrement. N’ayant pas l’habitude, je ne sais pas si c’est un mouvement normal. Je réessaie et décolle à quelques centimètres du sol. Whoaouh ! J’arrête aussitôt et tombe lourdement. Aïe. J’attrape mon courage à six pattes -six pattes seulement? Où sont donc les autres?- et réessaie encore. Je décolle encore, en avançant cette fois-ci. J’avance tellement que je suis dans le vide total en quelques battements d’ailes. Plus de branche rassurante sous mes pattes. Je panique et perds un mètre d’altitude. J’essaie de me ressaisir et remonte un peu. Ça marche ! Tellement content et fier de moi, je fais un looping. Flippant. Grisant. Ennivrant. Je recommence sur le champ. Oups, j’arrive beaucoup plus bas que prévu. Je m’attrape à un brin d’herbe. Reprends mon souffle. Et bois à une goutte de rosée. Ouf. Je suis en un seul morceau.
C’est fou ce qui m’arrive. Moi qui croyait que dans ma chrysalide, je dormirais pour ne jamais me réveiller, comme toutes les chenilles avant moi. Ainsi, il y a bien une vie après la mort. Et quelle vie ! Sans perdre une seconde, je reprends mon envol pour chercher mes congénères et partager cette expérience avec eux.