La porte est encore fermée. Pour la huitième fois, l’enfant passe devant, s’arrête, écoute. Rien. Il repart pour revenir dix minutes plus tard. Hésitation. Grattements sur la porte toujours close. Un temps. Grognements sourds de l’autre côté. Hésitation encore. L’enfant repart, incertain. Puis revient. Entrouvre la porte, se glisse dans la pénombre de la chambre.
“- Papa, tu ne viens pas?”
Vague bruissement dans le lit, grognement. L’enfant, mal à l’aise, se dandine d’un pied sur l’autre. Il se décide et ouvre les rideaux. La couette remonte plus haut sur l’oreiller. Un gros mot s’en échappe. Sur la pointe des pieds, l’enfant se rapproche du lit hostile, s’assoit sur le bord.
“- S’il te plaît, Papa, réveille-toi.
– Il est quelle heure?
– La grande aiguille est en bas, et la petite en haut.”
Soupir. La couette bouge encore un peu, une tête émerge, des bras attrapent l’enfant, le font sauter et rouler sur le lit. Rires, soulagement. L’enfant prend de l’assurance, profite quelques minutes de cette proximité adorée, et rompt le charme.
“- Pourquoi tu es triste en ce moment Papa?
– Mon ptit bonhomme, Papa a des soucis plus gros que toi, et je ne veux pas écraser tes petites épaules avec ça. Disons juste que si j’étais à ta place d’écolier insouciant, je serais bien plus heureux.
– Mais papa, l’école c’est pas très rigolo. La maîtresse me gronde parfois et les autres enfants se moquent parce que je n’ai pas de maman. Moi je m’en fiche tant que j’ai mon papa, mais je voudrais bien te voir rire, et que tu te lèves assez tôt pour m’amener à l’école. Si j’étais toi et que je puisse dormir toute la journée ou regarder la télé, je serais plus heureux moi aussi.”
L’enfant a l’air très grave, très sérieux. Du sérieux un peu comique qui fait fondre son père et le fait se sentir un peu coupable aussi. Sourire gêné. Les bras serrent l’enfant, le nichent contre le torse. Le nez aspire tant qu’il peut l’odeur des cheveux qui le chatouillent. Des larmes tombent en silence, cachées. Puis le petit paquet se met à gigoter, essayant de se libérer de l’étreinte qui s’éternise. Nouveau chahut. Rires, bataille de polochons. Rires encore. Figure épanouie de l’enfant, sourire éclatant. Cœurs qui s’allègent pour un temps. Course-poursuite jusqu’à la cuisine. L’enfant resplendit. Le regard de l’adulte s’assombrit devant la vaisselle propre, lavée par les petites mains agiles de l’enfant. Un bisou se pose délicatement en guise de merci sur le front de l’enfant. Aujourd’hui, la mélancolie, la tristesse et les tracas sont à l’écart.