L’officier Glub s’assoit devant son bureau, insère une feuille dans la machine à écrire et vérifie que sa tasse de café est encore chaude. Se relève pour la remplir de café chaud. Se rassoit devant la feuille blanche, prêt à rédiger son rapport. Et se demande comment diantre il va pouvoir expliquer la situation à ses supérieurs.
Sa mission sur Terre lui semblait d’une simplicité enfantine, il lui suffisait de s’accoupler avec une des créatures autochtones (qui, il est vrai, présentent de grandes similarités avec les habitants de l’astéroïde B612) un nombre suffisant de fois afin de déterminer si un croisement est envisageable entre leurs deux espèces.
Chez lui, cette mission aurait duré un mois tout au plus, mais ici, il est tombé sur quelques complications que son équipe de support technique n’avait pas envisagées. Certes, la détermination du sexe des individus a été chose relativement aisée, et Glub n’a abordé qu’une fois par erreur un jeune mâle qui présentait pourtant plusieurs attributs qu’il aurait qualifié de féminin (longue chevelure, absence de pilosité sur le reste du corps, une peau douce, une voix légèrement aigüe et rire haut perché). Mais une fois le (ou plutôt la) bon partenaire en face de lui, tout a commencé à se gâter…
Tout d’abord, les terriens sont des gens compliqués. Même s’ils ont envie de copuler, ils feront comme si ce n’était pas le cas, comme si le fait de dire à une femelle « j’ai envie de mélanger nos gènes » était honteux… Dans ces conditions, Glub a eu quelques déboires avant de comprendre qu’il fallait faire croire aux femelles qu’il avait envie de tout sauf de sexe avec elles. Ces déboires incluant la neutralisation fortuite d’un Terrien par trop possessif. Un autre point bizarre, d’ailleurs, la notion de propriété qu’ont les terriens vis-à-vis de « leur » mâle ou de « leur » femelle… Ce comportement de sexualité exclusive ne favorise aucunement les brassages génétiques, d’autant plus que la tendance majoritaire est l’accouplement au sein d’une même ethnie. Bizarre.
Ensuite, une fois que Glub a réussi à convaincre une ou plusieurs demoiselles de remplir sa mission, il s’est rendu compte que tout compte fait, recommencer rapidement avec la même femelle pour mettre toutes les chances de son côté n’était pas si facile. Alors même que les Terriens paraissent si jaloux et possessifs, aucune femelle ne s’est montrée possessive envers lui. Au contraire. Après l’acte, elles sont parties, simplement, sans lui donner le moyen de les revoir, et une fois même en lui demandant une rétribution financière ! Etrange. Comment se forment donc les couples s’il n’est pas possible d’aborder n’importe quel individu, et si, une fois cet individu conquis, il ne reste pas… Très paradoxal.
Lorsque Glub commençait à se dire que sa mission était vouée à l’échec, il rencontra une fille, relativement jeune, qui accepta de se donner à lui plusieurs jours de suite. Il réussit enfin à voir une femelle pendant plus de deux mois, mais se demandait quand même quelle était la durée de leur cycle, puisque la demoiselle ne semblait pas enceinte. Il lui posa la question, ce qui engendra une crise de fou rire chez sa partenaire. Il apprit plus tard que les humains mettent la plupart du temps tout en œuvre pour éviter de procréer, malgré la dépense énergétique engendrée par la production de gamètes. Après une réunion au sommet avec son équipe de soutien technique, il a compris que la planète Terre était trop petite pour une reproduction exponentielle des humains, et surtout que comme les Hommes ne maîtrisaient pas encore les rudiments de la colonisation spatiale, ils devaient forcément limiter leur nombre de naissances. Il demanda alors à sa partenaire la liste des modalités à remplir pour essayer plus activement d’avoir une descendance. Et il comprit que ce serait long… Très long, avant de pouvoir mener à bien sa mission.
D’abord l’entretien avec l’ascendance et les pairs de celle qu’il appelle maintenant sa « copine », puis l’acquisition d’un foyer commun, un point de théorie sur la pédagogie à appliquer quant à ce futur embryon… Elle lui a très clairement dit que cela se chiffrerait en années. Il a intégré cette notion, cela ne lui pose plus aucun problème, il espère que ses supérieurs comprendront.
Ce qui lui pose des problèmes, actuellement, ce sont plutôt les symptômes physiques qu’il commence à contracter, à chaque fois en présence de cette femme. Un mal de ventre affreux, le cœur qui s’emballe, quelques bouffées de chaleur. Il a bien l’impression que sa mission est compromise si elle lui a transmis une maladie, mais ce qui l’inquiète vraiment, c’est l’idée que ses supérieurs le rappellent à la base avant la fin.
Il doit réussir sa mission, il en est certain, ou mourir en essayant.