La Mort s’ennuyait depuis quelques années. Tout ce travail répétitif, cela l’épuisait, alors, petit à petit, elle y accordait moins d’importance. Il faut dire que les premiers temps, elle s’était vraiment appliquée. Elle choisissait avec soin les personnes qu’elle venait chercher. Elle soignait la mise en scène. Personnalisée à chaque fois. Elle s’impliquait, connaissait la biographie de ses passagers, était d’une ponctualité à toute épreuve.
Et tout ça pour quoi ? Quelques très rares mercis et une peur de plus en plus tangible. L’humanité prenait un malin plaisir à la défier, à esquiver ses rendez-vous. Cela l’avait amusée, au début, comme un chat s’amuse à chasser la souris. Puis elle s’était lassée : à la fin, elle gagnait toujours, alors à quoi bon ? Presque plus personne ne se préparait pour elle, et ce mépris croissant la peinait.
Pour mettre un terme à la déprime qui la guette, La Mort a décidé de jouer aux fléchettes. Elle choisit à l’avance une cible et lance ses piques à distance, s’entraînant avec plus ou moins de réussite à viser. Pour l’instant ce n’est pas tout à fait ça : elle touche le plus souvent à côté. Mais ils sont tellement nombreux, elle ne rentre jamais bredouille. Les humains ne voient pas la différence : ils ont toujours cru qu’elle était aveugle et arbitraire, elle leur donne raison. Et, pour chaque flèche lancée, elle perçoit le soulagement, la colère et la culpabilité de ses cibles ratées, avec une touche d’angoisse latente : la prochaine fois sera peut-être la bonne.