Conte de l’Avent – Comment Joe le cha(t)foin estourbit un canard poilu dans la géode chatoyante – 10 –

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Le trajet jusqu’à St-Denis se déroula plus sereinement. Joe s’était tapi avec Pierre-Henri dans l’espace entre quatre sièges dos à dos, le traîneau bien caché également. Personne ne les vit, et sans la fièvre de Pierre-Henri, Joe aurait pu être content de retrouver cette partie de sa vie.

Ils descendirent à St-Denis, Joe savait qu’il n’y avait qu’à longer la Seine pour retrouver sa ville natale. Malgré la fatigue et l’heure avancée, il marcha, traînant son ami, jusqu’au pont de Clichy. Là, ils se cachèrent pour passer la fin de la nuit. Pierre-Henri, dans ses délires, parlait de la sorcière à qui il devait sa condition de volatile. Celle-ci, selon lui, gardait l’œil sur lui, l’attirait dans ses filets et rêvait de raser ses dreadlocks pour lui faire pousser de belles plumes et parfaire son œuvre. Il finit par s’endormir mais ne se réveilla pas le lendemain matin. La fièvre lui soudait les paupières, collait ses poils les uns aux autres, et l’avait beaucoup amaigri.

Joe, attrapant délicatement son ami par le cou dans sa gueule, une inquiétude vivace lovée dans l’estomac, escalada les toits pour venir miauler à la fenêtre de Samantha la Grise.

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Joe voulait éviter la cohue. Au ras du sol, avec Pierre-Henri fiévreux, souvent inconscient, parfois délirant (c’est à dire cancanant à qui mieux mieux, pour quiconque ne comprenait pas son langage), il était dangereux d’attirer l’attention. Il fallait donc attendre le soir, laisser passer l’heure de pointe sans pour autant rater le dernier train. Ils attendirent donc, cachés tant bien que mal dans les massifs de la place Gallieni. 

Vers 22h, une ronde de routine de la police rendit momentanément les abords de la gare déserts. Joe courut ventre à terre, Pierre-Henri brinquebalé sur son traîneau, en direction de l’entrée de la gare. Les mésanges faisaient le guet et du repérage, elles indiquèrent in extremis un détour pour passer directement sur les quais, sans passer par le hall : il fallait simplement couper par la gare routière. Quand ils furent presque au niveau des quais, un sans abri les aperçut et les interpella, souhaitant un peu de compagnie. Il attira l’attention d’une chauffeuse de car, qui fumait à la porte de son véhicule. Joe se tapit sous un car, mais le moteur commença à vrombir. Terrorisé, il n’entendait plus les mésanges qui pépiaient. Prenant son courage à quatre pattes, il se précipita entre les roues arrière du car juste avant que celui-ci ne manœuvre et se rua vers les quais, pour trouver une grille qui bloquait le passage. Désespéré, tétanisé, Joe n’était même plus en état de chercher une solution. C’est alors qu’arrivèrent deux gros rats, appelés en renfort par les oiseaux. Ceux-ci l’amenèrent à un tunnel spécialement aménagé par leurs soins pour se faufiler sous la grille. Ils l’aidèrent à traverser et lui précisèrent où se poster pour être en face d’une porte à l’arrivée du train. Lorsque le train s’arrêta, Joe et Pierre-Henri purent ainsi monter sans encombre. Infiniment reconnaissant, Joe promit aux rats de militer auprès des félins et même des canidés pour une bonne entente avec les rongeurs, et allongea de dix ans la période sans chasse à la mésange.

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Les première gelées arrivèrent pour le premier novembre, puis il neigea sans discontinuer. Un jour, Pierre-Henri se coucha avec le poil trempé, trop épuisé par leur bataille de boules de neiges pour se sécher. Il se réveilla avec 43°c de fièvre, grelottant sans plus pouvoir s’arrêter. Joe prit soin de lui, lui servant d’abri contre le froid pour qu’il se rétablisse. Au bout du deuxième jour de fièvre, très inquiet, il décida d’emmener son ami chez un médecin. Pour plus de confort, il fabriqua un petit traîneau à partir d’écorces de boulot et de tiges de roseau. Pour tenir chaud à Pierre-Henri, il négocia avec des mésanges qui se relaieraient, toutes serrées contre le canaroïde. En échange, Joe promit de ne plus chasser de mésange pendant deux ans et demie.

Joe s’attela au traîneau et partit avec tout son petit monde vers la lisière nord du bois. Là, il eut une longue hésitation : devant lui le monde des hommes et de cruels souvenirs, mais rester à l’abri signifierait probablement la mort du seul ami qu’il ait jamais eu. Après un regard derrière lui, vers la forêt et le traîneau, Joe s’avança vaillamment vers la ville. Il franchit une route à toute allure, ses pattes tricotant sur le sol. En s’arrêtant sur le trottoir d’en face, il lut “La Rochette” puis chercha des panneaux de direction. Il suivit celui qui indiquait Melun, se rappelant qu’un RER partait de là pour aller à St-Denis, près de chez lui.

Grâce au bandana qu’il portait toujours au cou, il put trottiner de trottoir en trottoir jusqu’à la gare de Melun. Les passants riaient et le prenaient en photo, essayaient de le détourner de son chemin en lui offrant des friandises, qu’il ignorait superbement. Seul Pierre-Henri comptait pour lui.

Enfin, ils arrivèrent à la gare sans trop de difficultés, mais pour entrer, ce fut une autre paire de pattes.

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Après ce premier repas, les deux compères devinrent inséparables. Ils fêtèrent Noël ensemble, se régalèrent d’un sandre fumé sur lit de vers de vase, dans un coin de bois rempli de houx pour la décoration.

Découvrant le plaisir sans partage d’avoir un ami, Joe s’épanouit et devint un joyeux drille, enchaînant les blagues et les gags, pratiquant l’autodérision et le comique de situation. Pour le nouvel an, il tressa ses poils à ceux de Pierre-Henri et ils passèrent ainsi une journée entière comme des siamois. Ils durent demander de l’aide à une huppe pour les séparer. Pour Pâques, il alla voler les œufs d’une oie et les recouvrit de terre pour les offrir à son ami, qui faillit se casser le bec dessus en voulant dévorer ces appétissants œufs en chocolat. La vie était douce et sereine, s’écoulant gaiement, un jour à la fois.

Puis revint l’hiver.

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Remarquant la présence de Joe, le canaroïde lui proposa spontanément un toast aux champignons. Joe, perplexe, lui demanda, au risque de paraître impoli, ce qu’il était.

“Je m’appelle Pierre-Henri et je ne saurais dire ce que je suis actuellement. Il y a peu, j’étais sommelier dans un grand restaurant parisien, portant un queue de pie avec de magnifiques dreadlocks. Comme mon patron me demandait de me couper les cheveux pour plaire à sa clientèle fortunée, j’ai démissionné. Je suis allée voir la voisine de ma memè en banlieue, qui m’avait souvent donne des coups de pouce dans mon enfance, la suppliant de m’aider à retrouver un emploi à la hauteur de mon nez, que j’ai fort fameux. En sortant de chez elle, j’ai dû m’enfuir : certains résidents mal intentionnés avaient clairement l’envie de me passer à la casserole. Depuis, je vis dans les bois, testant différents accords mets et rosée. Tiens goûte moi celle-là, elle a ruisselé pendant trois jours sur une feuille d’eucalyptus, elle apporte une note tres fraîche, presque minérale, à l’arôme puissant de sous bois de la poêlée. Tu m’en diras des nouvelles !” Et sans plus de cérémonie, Pierre Henri invita Joe à sa table.

Ému Joe ne se fit pas prier. C’était la première fois que quelqu’un d’autre que ses parents lui manifestait une réelle marque de sympathie. Il se présenta également, narra sa courte histoire et se prit même à ronronner devant l’intérêt manifeste de Pierre Henri.