Conte de l’Avent – Comment Joe le cha(t)foin estourbit un canard poilu dans la géode chatoyante – 5 –

Pour avoir le début de l’histoire, c’est par ici.

Il erra longtemps dans les égouts, trois jours ou dix minutes, il ne le sut jamais, et pour un chat transi de froid, affamé et apeuré, cela revient au même. Au bout de quelques fragments d’éternité, le tunnel où il déambulait déboucha à l’air libre. Méfiant, il sortit avec prudence, mais quand il vit qu’il était dans une forêt, sans humain en vue, il fut soulagé. Très vite, il trouva un abri sous les racines d’un arbre arraché. Épuisé, il se roula en boule dans les feuilles mortes et s’endormit.

Une odeur de champignons grillés, avec un soupçon de pain perdu, le tira de son sommeil. Intrigué, il inspecta les environs, et tomba nez à nez avec une bestiole très bizarre, visiblement en train de prendre un petit déjeuner. Cet énergumène était inconnu de Joe, pour qui l’ornithorynque était un animal de fiction, au même titre que le sphinx ou l’Hydre de Lerne. De loin, la bête ressemblait franchement à un canard. Tout y était : les courtes pattes palmées, le cou très flexible, la toute petite tête avec un bec aplati jaune-orangé, la forme globale du corps… Tout, sauf qu’à la place d’un plumage coloré, la bête était parée d’un pelage façon bobtail : de longs poils gris emmêlés sur tout le corps avec une frange qui lui retombait sur les yeux. Et qu’elle cuisinait au petit matin une poêlée de champignons des bois sur des toasts imprégnés de lait de biche, en sirotant un verre de rosée.

Conte de l’Avent – Comment Joe le cha(t)foin estourbit un canard poilu dans la géode chatoyante – 4 –

Pour avoir le début de l’histoire, c’est par ici.

Joe s’enfuit la queue entre les pattes, crachant son dépit et feulant de frustration. Passant habilement entre les vélos, scooters et voitures de la rue, il se rendit d’une traite au lycée. Là, il s’assit au coin fumeur jusqu’à la récréation, impatient de tester son tout nouveau charme sur ses camarades de classe, bien certain que Lola ne ratait jamais la pause clope.

Quand le troupeau de lycéens débarqua, traînant les pieds, haussant la voix, Joe lança quelques miaulements qu’il voulait irrésistiblement rauques. Les rires cessèrent, les regards se tournèrent vers lui, les yeux s’ébahirent, les nez se froncèrent. Puis les rires reprirent, assortis de petits noms affectueux, tels qu’avorton, paillasson, boule puante ou rat-taupe nu (lancé par un seconde qui sortait d’un cours sur la biodiversité en SVT). Lola tenta de prendre sa défense, l’attrapant contre elle par esprit de bravade, mais elle renonça quand Joe miaula de plus belle pour lui signifier son amour. Elle se boucha vivement les oreilles, laissant Joe à la merci de la cruauté de ses semblables. Quand les pierres, les crachats et les mégots allumés volèrent vers lui, Joe fila sans demander son reste, zigzagant éperdument, la panique chevillée au corps.

Il s’engouffra dans un regard d’égout, glissa sur deux mètres dans une eau boueuse et se hissa tant bien que mal sur un rebord qui ferait office de zone sèche, bien à l’abri des humains.

Conte de l’Avent – Comment Joe le cha(t)foin estourbit un canard poilu dans la géode chatoyante – 3 –

Pour avoir le début de l’histoire, c’est par ici.

Sans se décontenancer, Joe avança sur le toit d’une patte conquérante. L’assurance étant inhérente à la condition féline, il se sentait pousser des ailes. Il hésita juste quelques dizaines minutes, lissant son poil rêche d’une langue râpeuse ou humant aux quatre vents, avant de s’engager sur une corniche d’une vingtaine de centimètres de larges, six mètres au dessus du sol, lui permettant de rejoindre l’escalier, puis, enfin, la rue et la sécurité de son trottoir.

Il s’orienta assez rapidement et retrouva le chemin de chez lui au petit matin mais il fut malheureusement bloqué en bas de l’immeuble, le concierge essayant de le chasser à coups de seaux d’eau sale.

Dépité, il attendit 8h20 que sa mère parte au travail pour l’aborder. Elle semblait on ne peut plus normale, pas vraiment inquiète à l’idée que son fils ait découché… elle n’avait sûrement pas encore remarqué son absence. N’en pouvant plus d’attendre, Joe se jeta entre ses jambes, essayant de frotter sa tête contre ses bottes fourrées. Surprise, sa mère faillit tomber et lui donna un coup de pied par inadvertance. Puis, quand l’odeur pestilentielle du chat se fraya un chemin jusqu’à ses narines, elle lui en donna trois de plus pour qu’il s’en aille, vite, et loin.

Conte de l’Avent – Comment Joe le cha(t)foin estourbit un canard poilu dans la géode chatoyante – 2 –

Pour avoir le début de l’histoire, c’est par ici.

Hélas ! Il n’y eut pas de miracle : aussitôt métamorphosé, il commença à se gratter, infesté de puces, des plaques de son pelage roux tacheté se détachaient, et son odeur, mélangeant subtilement les fragrances de poubelle, laine mouillée et charogne couvrit celle, pourtant capiteuse, de l’encens qui emplissait l’appartement. Sans miroir, et donc pleinement confiant dans le charme de Samantha, Joe lançait d’immenses sourires qui lui tordaient la gueule et lui donnaient l’air d’un pirate vérolé.

Devant sa dégaine de matou cabossé, Samantha la Grise soupira discrètement, le grattouilla distraitement derrière les oreilles et lui noua un bandana rouge autour du cou pour qu’on ne le prenne pas pour un chat errant.

Avant de le laisser partir, elle lui donna un peu de thon à la catalane agrémenté d’une pointe de lait, puis lui fit parapher de la patte une reconnaissance de dettes : quand elle en aurait besoin, dans un délai d’un an à partir de la nuit de Noël, il lui devra une faveur. Faute de quoi il se changerait irrémédiablement en statue de chihuahua à poils longs.

Puis elle ouvrit la fenêtre et le chassa sur les toits dans la nuit étoilée.

Conte de l’Avent – Comment Joe le cha(t)foin estourbit un canard poilu dans la géode chatoyante – 1 –

Quand Joe est allé voir Samantha la Grise en cette première nuit de décembre, il cherchait seulement un moyen de se sentir bien dans sa peau. Victime d’une adolescence bien entamée et des éruptions cutanée qui l’accompagnaient, Joe tentait, sans succès, de compenser un physique qu’il qualifiait lui-même d’ingrat par mille et une facéties destinées à séduire ses semblables. Malgré tous ses efforts, les garçons, qui s’imaginaient déjà hommes, l’appelaient Fœtus le Ménestrel et les filles ne lui adressaient la parole que lorsqu’elles pouvaient glisser méchamment une allusion aux calculatrices ou aux pizzas.

Quand Samantha la Grise le vit arriver, en piteux état, trempé et tremblant de froid à la porte de son T2 à Clichy, elle lui assura qu’elle avait une solution imparable pour soigner aussi bien son apparence disgracieuse que son vague-à-l’âme. Ni une, ni deux, elle le transforma en chat.