Rencontre d’un autre type

C’est donc ça, ce qu’on appelle un adolescent. Cette pensée lui traversa l’esprit tandis qu’il percevait le maelström d’émotions ambiantes par ses canaux empathiques. On lui en avait bien parlé avant, lui prédisant qu’il le saurait s’il venait à en croiser, on l’avait averti, on lui avait dit de prendre ses précautions. Enfin, il en voyait un. Il se demanda alors comment faisaient les humains pour supporter un tel tourbillon d’émotions pures, explosives, profondes. Puis il se rappela qu’ils n’étaient pas du tout équipés pour les percevoir. Tout juste pouvaient-ils en deviner l’essence, pour les plus doués, grâce à quelques expressions faciales, postures ou intonations. Rien à voir évidemment avec la force brute que les individus de son espèce recevaient en permanence de tout être vivant. Ça expliquait donc pourquoi les humains les contrôlent si mal. S’ils avaient la moindre idée de l’énergie qu’ils dégagent, des dégâts qu’ils peuvent causer avec ces forces non canalisées, peut être apprendraient-ils.

Le premier éblouissement passé, il reporta son attention sur le spécimen posté devant lui. Essaya de démêler l’écheveau d’émotions devant lequel il était installé. Remarqua sans peine la rage sourde, bruit de fond constant, moteur apparent de tout le système. Une rage de tout, qui avait l’air de stimuler les émotions négatives comme les positives. Intéressant. Il nota ensuite une oscillation assez rapide de joie et de dépression, à tel point qu’il crut au départ que les deux étaient exprimées simultanément. Il affina son observation et vit que l’alternance de ses deux émotions primaires entraînait un emballement de toutes les émotions qui leur sont associées, de près ou de loin (optimisme, confiance, sentiment d’injustice, mépris, admiration, émerveillement, honte, ennui…). Il observa également que certaines sensations de l’individu n’étaient même pas traitées mais renvoyées telles quelles vers le cosmos. Il comprit d’où lui venait l’impression de vertige qu’il avait ressentie sitôt en contact avec cet adolescent. Et se demanda comment celui-ci avait pu survivre à ne serait-ce qu’une journée de cette tempête hormonale.

Il décida que c’en était assez, et s’éloigna en trottinant, notant sur le réverbère l’emplacement approximatif de cet être étrange, pour prévenir la cantonade de ce qui les attendait.

Funérailles blanches

Test. Un, deux, un, deux. Tenez Monsieur, soyez gentil, allongez vous-là, comme ça, c’est bien. Est-ce que ça ferme? Oui, c’est bon alors. Du sur-mesure, je vous l’avais dit. Attendez une petite minute, les porteurs vont essayer de soulever le tout. Voilà, c’est bien, c’est déjà fini, vous pouvez sortir.

Donc, pour le trajet, sachant que vous paierez au kilomètre, quel itinéraire choisissez vous? Vous voulez les faire marcher longtemps ou pas? Oui, bien sûr, on peut le faire ensemble à pieds, vous choisirez après. Bien, montez donc dans le corbillard pour le repérage. Côté passager, c’est bien, vous passerez à l’arrière bien assez tôt.

Et pour la réception qui suit? Voulez-vous goûter à tout pour en profiter vous aussi avant l’heure? Bien sûr que c’est possible. Il ne manquerait plus que ça, que vous ne profitiez de rien ! Non non, vous pourrez ainsi anticiper l’évènement comme une bonne surprise pour vos proches. Une dernière fête dont vous serez l’hôte. Voilà, je vous laisserai composer le menu avec mon assistante.

Pour terminer, nous allons procéder aux essayages de costumes, coiffures et coutures. Non, rassurez-vous, on ne va pas vous coudre pour de vrai. On va d’abord mouler votre visage, prendre les mesures et tout reporter pour le jour J. Essayez donc de tenir vos lèvre comme ça. Regardez, si je fais ça de cette manière, ça rendra ça. Ça conviendra? Oui? Parfait monsieur.

Bon, je vous raccompagne. Nous ne nous reverrons à priori pas, mais soyez rassuré, tout se passera bien, vous serez comme il se doit le centre de l’attention et personne ne pourra trouver à redire à votre dernière prestation.

La vengeance est un plat qui se mange froid

Après toute une vie passée à pointer les gens du doigts, Marty eut quelques surprises le jour où il dût enfiler sa première paire de lunettes. Certes il se faisait vieux, certes sa vue baissait, mais tout de même, il ne perdait quand même pas la tête ! Depuis qu’il avait chaussé ses lunettes, il ne s’était pas passé un quart d’heure sans qu’il fut obligé de les nettoyer. Il faisait pourtant attention, il les nettoyait soigneusement et prenait garde à ne pas les toucher, mais rien n’y faisait, quelques minutes plus tard, sans qu’il sache comment ni pourquoi, une trace de doigts ornait déjà les deux verres. De belles traces de doigts de qui se les ai léchés exprès pour faire une salle blague. Sauf que très souvent, Marty est seul. Assuré de ne pas perdre la boule, Marty devint jour après jour parano. Parano, et très très agacé.

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Après des années à le prévenir par tous les moyens, tous les intermédiaires possibles, Il tient enfin sa revanche. Ah, ce sale petit c** ne pouvait pas prendre garde à son doigt, il ne pouvait pas s’empêcher de le brandir à tout-va? Sans se soucier du fait qu’Il est partout et doit sans arrêt faire attention à ne pas se faire crever les yeux? Et bien voilà, pour la peine, Il passera le reste de sa courte existence derrière lui, à souiller ses lunettes pour le rendre chèvre. Et tant pis si c’est trop facile d’abuser ainsi de Son omnipotence, il l’a bien cherché !

La peur du clown

– Je ne veux pas y aller, Papa.

– Allons fiston, sois grand et fort, ils ne vont pas te manger quand même. Et puis ça ne dure pas si longtemps, un numéro de clowns…

– Mais papa, ils me font peur, je n’y peux rien. Avec leurs sourires exagérés, leur gestes brusques, leurs rires un peu déments et forcés. Ils me font peur, je ne veux pas y aller.

– Mais le boulot des clowns, leur raison d’être, c’est de faire rire les enfants. C’est comme ça, c’est normal. Pas de raison d’avoir peur…

– Papa, je te comprends bien, mais je n’y peux rien s’ils me terrifient. C’est plus fort que moi. Je voudrais ne plus jamais en revoir.

– Ça risque d’être délicat. Sans vouloir te forcer, tu sais bien que je n’ai personne pour prendre la relève à ma retraite. J’ai vraiment besoin que tu assures au moins une période de transition, jusqu’à ce que je trouve mon successeur. Après, tu pourras faire embaumeur comme tu le désires. Mais s’il te plait, fais ça pour ton vieux père avant qu’il ne soit trop tard. Tiens, je te laisse même mon nez et mes chaussures. Je reste en coulisses, je te regarde et je suis sûr que je serai fier de toi mon fils. Allez, vas-y.

La survie, c’est la loi

Bonjour à tous,

Je m’appelle Pierre et je suis évaluateur de programmes.

Si vous êtes ici aujourd’hui, c’est que vous avez échoué, vous avez raté votre examen. Seule une partie d’entre vous aura droit à un rattrapage. Les autres, vous connaissez l’issue : si vous avez provoqué votre échec, pas la peine de vous plaindre. Je lis ici que certains n’ont même pas tenu trois jours, c’est inadmissible, un échec cuisant, vous devriez avoir honte !

Pour ceux concernés, votre mémoire sera réinitialisée pour votre nouvelle épreuve. Seul votre inconscient profond gardera une trace de ce qui vous est arrivé avant. À priori, la situation sera inédite mais les embûches nombreuses. Les autres, vous pouvez suivre Lucifer, ici, il vous montrera le chemin. Monsieur, ça ne sert à rien de pleurer, vous avez mis fin à vos jour avant l’heure, vous assumez !

Alors, pour ceux qui y retournent, écoutez bien mon conseil : a-da-ptez-vous. À tout, vous m’entendez, à tout. Nouveaux comportements, nouveaux organes, nouvelles possibilités, je ne sais pas moi, un peu d’imagination, nom d’une pipe ! Votre place au sommet, vous la gagnerez en vous accrochant, c’est la loi. Peu importent les conditions, vous vous accrochez, vous ne renoncez jamais, vous inventez de nouvelles manières de passer outre ce qui vous arrive. N’oubliez pas : un abandon vous assure une éternité de non-être dans un endroit que je préfère ne pas nommer.

Enfin, je vous rappelle la condition sine qua none pour gagner votre sésame : vous devez engendrer une descendance avant de mourir. Plus elle est nombreuse, mieux vous êtes notés. C’est pourtant simple, non?

Bon, si vous êtes prêts et que vous n’avez pas de questions, vous pouvez y aller…