Une journée pour sauver l’humanité

Je me suis levé tard ce matin. Tête dans le brouillard et sensation tenace d’oublier quelque chose. Peut être que j’aurais dû faire moins de folies hier soir. C’est pas si grave, après tout, c’est pas la première fois. Direction le canapé pour un café pas mérité mais requinquant. Je regarde brièvement ce qui se passe dans le monde avant de me lasser, comme toujours. Je sors prendre un peu l’air, ça me fait du bien mais je suis un peu désœuvré. Direction le canapé pour une sieste improvisée.

Vingt heures sonnent déjà, je n’ai pas vu le temps passer. Je vais me chercher une petite bière dans le frigo pour me motiver un peu pour la soirée. Et je vois le petit mot sur le frigo, pense bête laissé à mon intention par quelqu’un qui sait où me trouver. “N’oublie pas que tu n’as que jusqu’à ce soir pour sauver l’humanité. Bisous, Papa”.

Ah oui, c’était donc ça, ce que j’avais oublié. Vingt heures. La flemme. Bah qu’ils se débrouillent tous seuls. Au pire, Papa recommencera demain, c’est tout.

Massacre à l’agrafeuse

Elles sont toutes là, bien empilées, lisses et propres. Les deux cent pages de mon rapport qui ne demande plus qu’à être relié. À côté, l’objet du crime à venir. Une belle agrafeuse, de grande taille et dont le chargeur est rempli de grosses agrafes. Encore à côté, un enfant de dix ans désoeuvré et malicieux.

À peine vingt minutes plus tard, le forfait est commis. Des agrafes sont plantées de manière aléatoire sur toutes les pages, permettant l’obtention d’un bloc compact et solidaire, qui ne pourra en aucun cas être lu.

Le réveil

Un son intense rugit dans la chambre, je me croirais sur un aéroport. Un bruit, mélange de corne de brume et d’avion de chasse au décollage, envahit toute la pièce. Je suis réveillée en sursaut. Paniquée je me demande ce qui se passe. J’ouvre les yeux juste à temps pour voir une hélice en plastique s’envoler d’un socle, également en plastique, d’où semble sortir tout ce vacarme. Horrifiée, je comprends : c’est le nouveau réveil de l’homme qui dort à côté de moi qui vient de sonner. Et si je réfléchis un peu, je comprends également que pour que ce boucan cesse, il faut que je retrouve l’hélice et que je la repose sur son socle. Malin. Vicieux, plutôt. Complètement fourbe.

Attendez, “qui dort à côté”? Oui, c’est bien ça, il a l’air de dormir comme un bébé tandis que j’essaie de calmer tant bien que mal mon palpitant qui s’emballe. Si je veux que le bruit s’arrête, je vais devoir m’y coller. À quatre pattes dans la chambre, je cherche sous le lit l’hélice qui a dû s’y glisser. Je tombe nez à nez avec le chat, qui, loin d’avoir peur, joue avec son nouveau jouet. Et me griffe la main lorsque j’essaie de lui retirer. Enfin, je tiens l’objet, le mal incarné, et je le repose sur sa base. Le bruit s’arrête enfin, l’homme endormi émet un grognement de contentement dans son sommeil, sourit un peu et se repositionne pour mieux dormir. Moi de mon côté, ça y est, je suis bien réveillée. Presque efficace, ce réveil. Direction : le premier carton qui me passe sous la main.

Roquet

Chaque fois que je te vois

Où que je sois, le même émoi

Une claque en plein cœur m’atteint

Putain, tu ressembles vraiment à rien

Dans la cage d’escaliers tu erres

Encore mis à la porte par ton maître

Pigneur sans cervelle, des insultes se perdent

Imbécile animal, unique en ton genre

Et, fier de toi-même tu parades

D‘odieux glapissements sortent de ton ventre

Ah que ne puis-je une fois seulement

Une minute oublier ma conscience !

Coller un magistral et enthousiaste

Uppercut vengeur au fondement de la bestiole,

Libérateur pour mes sens malmenés.

Le moral dans les chaussettes

Lundi. Elles sentent bon, elles sont fraîches, il marche d’un pas alerte et décidé, il se sent sûr de lui. Il est bien dans ses baskets, il est d’humeur joviale et prêt à partir où le vent l’emmène.

Mardi. Il n’a pas plu hier, elles sont encore à peu près sèches. Elles ne sentent plus le frais mais ne puent pas encore. Il est  serein, prêt à poursuivre sur sa lancée. Son entrain est à peine émoussé, son endurance fait ses preuves.

Mercredi. Elles ont la texture particulière de celles qu’on a déjà un peu trop portées, mais qui peuvent encore tenir. Il n’est plus vraiment d’attaque mais prend sur lui, fait des efforts pour rester aimable, enthousiaste. Il poursuit son travail avec un peu moins d’ardeur mais laisse le rythme de sa journée le mener, stoïque, jusqu’au soir.

Jeudi. Elles commencent à franchement sentir, elles sont froides et moites. Il a un énorme coup de pompe, aimerait en avoir déjà fini et le reste de la semaine à venir le décourage. Il est morose, traîne la patte et baisse les yeux.

Vendredi. Elles n’ont pas pu sécher pendant la nuit, elles sont glacées, humides et sentent le maroilles. Il se sent sale, usé, bon à rien. Sa confiance en lui envolée, il a l’impression de charrier un boulet. Il essaie de ne plus penser à tout ce qui l’attend avant qu’enfin chez lui, il laisse sa fatigue de côté pour prendre soin de lui. Il a l’impression que la journée s’étire, qu’elle n’en finira pas.

Samedi. Elles sont en fin de course, ont une odeur pestilentielle, n’arrivent pas à sécher tant elles sont imprégnées de sueur. Il est épuisé, sa semaine l’a éreinté, il est lessivé. La seule chose qui lui permette de tenir, c’est de savoir que tout ça est bientôt fini, que la semaine prochaine il entamera un nouveau cycle et que tout sera de nouveau propre et net chez lui.

Dimanche. La machine à laver enfin tourne, frotte et rince. Tranquille chez lui, il va nu-pieds. Il flotte un peu, déconnecté, le cerveau au repos.