Le silence des marmots

Elles ne sont pas là. Elles ne sont plus là. Les cris, les rires se sont tus. Partie la présence envahissante, accaparante de mes trois enfants. Où sont-elles? Je ne sais pas. Je cherche depuis des mois. Une trace. Une adresse. Questions aux voisins. Pied de grue devant l’appartement de ma belle-famille. Où les a-t-elle emmenées? Jour après jour, inlassablement, je cherche. Je ne renoncerai pas. Jusqu’à ma mort je chercherai. Car sans elles, à quoi bon vivre?

Elle n’aurait pu me faire plus mal. Se servir de l’innocence de mes enfants, les déraciner, les enlever, pariant sur le fait que je ne voudrai jamais leur faire autant de mal moi-même. Et me laisser toujours un doute horrible, perfide, sournois. Jusqu’où irait-elle pour me blesser? Si je les retrouvais sans qu’elle y soit préparée, que ferait-elle pour me punir? Insoutenable idée, je suis prêt à tout lâcher.

En réalité, je pourrais tout oublier maintenant. Tout ce qu’elle a déjà fait. Oublier qu’elle m’a sali. Oublier les tribunaux. Oublier les trahisons. Oublier la main forcée à nos amis communs, l’inéluctable et impossible choix. Tout. Je pourrais tout oublier. Juste pour la certitude que je les reverrai un jour. Pas pour un visage, un sourire, une excuse, non. Juste pour la certitude que je les reverrai un jour.

Jusqu’à ma mort je chercherai. Je me ruinerai s’il le faut. Je ferai tout mon possible et une bonne partie de l’impossible pour retrouver leur trace. J’arpenterai la France entière. Le monde s’il le faut. Je ne chercherai même pas à me venger, à l’écraser, à la juger. J’accepterai l’inacceptable. Pour la certitude que je les reverrai un jour. Car sans elles, à quoi bon vivre?

Brise-larmes

La première commence à pointer le bout de son nez. Elle grossit, déborde et roule sur ma joue. Du bout du doigt, tu stoppes sa course, l’étales et la fais disparaître. La seconde, plus rapide, atteint déjà le menton. Tu remontes ma tête, et d’un baiser l’aspires. Alors que ma lèvre tremble un peu, les larmes coulent à flots. Tu essaies d’endiguer l’inondation, tu éponges ce que tu peux dans le T-shirt qui couvre ton épaule. Puis tu prends le mal à la racine. Tu m’écartes délicatement de toi, tu fais une mimique, puis une autre, de celles qui te rendent irrésistible et exaspérant à la fois. Alors que j’hésite encore sur la marche à suivre, voilà que tu commences à blaguer. Bien malgré moi, un sourire fait irruption sur ma figure rougeaude. Le nez coule encore, les yeux brillent. Est-ce de tristesse ou bien de rire? Alors que je tente vaguement de protester, tu insistes et imites le spectacle que tu as sous les yeux. Je n’en peux plus, j’explose de rire. Encore une fois, tu as gagné, les larmes admettent leur défaite et restent hors de vue, conscientes qu’avec toi, elles n’auront jamais le dernier mot.

Pas ce matin

Douceur du matin quand le réveil sonne et que je peux, encore un peu, me coller contre toi pour profiter de ta chaleur. Pas ce matin. Tel un chat, je m’étire, vocalise et me love dans tes bras. Pas ce matin. La caresse rapide et le bisou du bout des lèvres pour bien commencer la journée. Pas ce matin.

Ce matin c’est le lit froid, ta place vide et moi pelotonnée en boule dans mon coin. Ce matin, après mon premier réflexe câlin, c’est le souvenir de toi t’en allant dans le soir qui me claque en pleine face. Ce matin c’est le premier d’une longue série de matins où je vais devoir réapprendre à émerger seule, à affronter ma journée et ton absence. C’est ma vie sans toi qui commence ainsi par un matin chagrin.

Les beaux jours

Le printemps revient, les beaux jours sont là, la température remonte pour le plus grand bonheur de tout le monde. De tout le monde? Non, pas tout à fait. Passé le premier temps où la chaleur redonne un peu de force à ses os douloureux, il commence à craindre l’été et ses grandes chaleurs.

Quand les filles se dénudent pour profiter de chaque rayon de soleil, lui porte sa garde-robe en permanence sur le dos. Il a déjà sa maison dans des sacs en plastique, l’anorak reste sur lui peu importent les circonstances.

Quand les terrasses se peuplent de rires, d’ambiances festives et de demis rafraichissants, lui sent monter comme la marée solitude et sécheresse.

À l’heure où les plus téméraires se baignent dans les lacs, les rivières ou la mer, lui peine à se débarrasser de sa crasse qui lui tenait bien chaud il y a deux mois. Il aimerait juste une fois être frais, mais doit supporter ses démangeaisons, essayer d’oublier l’odeur de la sueur.

Quand la ville se vide de ses habitants, que les vacanciers partent profiter de leur repos bien mérité, lui doit faire face à la concurrence des rebelles qui envoient tout bouler le temps de l’été avant de se ranger à la rentrée. Les rues deviennent surpeuplées pour moins d’aide potentielle, à lui de tirer son épingle du jeu.

Alors voilà, les beaux jours sont là. Allez donc lui dire que la misère serait moins pénible au soleil.

Cette fille-là

Je suis cette fille qui butine sans penser au lendemain, gourmande de la vie, les sens en éveil. D’expériences en erreurs sans cesse recommencées, parce qu’après tout j’aime ça et que les remords sont tellement préférables aux regrets. Je suis cette fille qui tente, toujours, parce qu’on ne sait pas sur quoi on va tomber et que les bonnes surprises sont tellement agréables. Je suis cette fille qui vit, cette fille qui vibre, cette fille qui espère en tourbillons à chaque coup de vent. Peu importe l’échec, peu importe la fin, seule la route compte.

Je suis cette fille, amoureuse jusqu’au bout des ongles, qui sait la chance qu’elle a de t’avoir rencontré au cours d’une de ces expériences. Je suis cette fille, fidèle par amour, par respect, mais pas par principe. Je suis cette fille qui a trouvé un bout de bonheur plus gros que les autres, et qui essaiera de le garder, parce que c’est bien aussi, le bonheur. Je suis cette fille toujours avide de nouvelles expériences, qui espère les vivre avec toi, parce qu’il y a tant à découvrir en avançant plus loin sur la route. Je suis cette fille qui comprend bien la différence entre une connerie à tenter et une erreur à ne pas commettre. Je suis cette fille qui a intégré ton bonheur dans son équation personnelle et qui ne supporterait pas de te faire du mal.

Je suis cette fille qui essaie de concilier ces deux personnes, de les faire tenir dans sa petite enveloppe charnelle. Je suis cette fille qui te remercie de ta compréhension et qui apprécie grandement que tu ne cherches pas à l’amputer d’une partie d’elle.