Disparition

La porte est fermée, depuis quelque temps maintenant. Seule dans mon lit, j’entends les éclats de voix, les rires, la vie qui poursuit son cours. Sans moi. Depuis un temps qui me parait infini, j’appelle mais personne ne répond. Je n’ose me lever, je connais la honte ressentie une fois en pyjama au milieu du salon. Je voudrais que quelqu’un vienne me voir. Pour me prouver qu’on se souvient de moi. Que j’existe.

Personne. Petit à petit, ma voix devient plus faible, mes appels plus espacés. Je me sens partir, happée inexorablement par l’indifférence qui chaque soir m’entraîne vers le lieu où vont ceux dont peu à peu on oublie l’existence.

La promesse du papillon

Fragilité de l’instant. De la taille d’un pouce, ses ailes fines sont à peine bleutées, petite coquetterie d’un papillon par ailleurs discret. Posé sur un long brin d’herbe, il vacille au gré de la brise qui souffle doucement. Quelques pas plus loin, un enfant l’observe, captivé. Il s’approche lentement, jusqu’à pouvoir le faire s’envoler d’un courant d’air. Il s’allonge alors dans l’herbe, les yeux à quelques centimètres de la frêle petite bête. Il tend sa main jusqu’à toucher le brin d’herbe et attend.

Près d’une minute plus tard, le phénomène attendu se produit : d’un battement d’ailes, le papillon s’envole, tourne quelques instants et vient se poser sur la peau nue du bras de l’enfant. Peau douce et sucrée que le papillon goûte du bout de sa trompe. Ses pattes chatouillent le bras juvénile mais le petit n’ose pas bouger un poil de peur d’effrayer le lépidoptère. Retenant son souffle, l’enfant savoure la promesse offerte par l’instant suspendu. Promesse d’un monde où l’innocence aura toujours sa place, promesse d’une paix et d’une harmonie à portée de bras.

Mauvaise graine

Dans ma famille, on me dit que je suis de la mauvaise graine, que je trahis mon nom, qu’on ne fera jamais rien de moi. A l’école, on me dit que je promets, que j’irai loin, que j’ai de l’avenir. Je ne sais plus qui croire. Je suis pourtant le même chez moi et à l’école. Sage, honnête, je travaille, j’aide aussi ma maman à travailler. Il parait que ce n’est pas le rôle d’un homme d’aider sa mère. Même ma mère me le dit. Elle ne sait pas ce qu’elle a fait pour avoir un fils pareil. Les autres élèves disent que je fayote quand j’aide la maîtresse. La question que je me pose, c’est “qu’est-ce qu’ils attendent de moi, tous?” Quand je suis un filou à l’école, je me fais gronder et les enfants m’évitent. Quand je suis un filou à la maison, je me prends des taloches mais tout le monde est fier de moi. Quand je suis sage à l’école, on me félicite mais les enfants m’évitent. Quand je suis sage à la maison, je me prends des taloches et on me regarde comme un ver de terre. Alors quoi? Je ne sais pas ne rien être. Je dois être de la mauvaise graine, ça doit être vrai quelque part. Une graine mal née. Une graine de coquelicot germée au milieu des chardons. Une graine de coquelicot qui essaie de s’intégrer aux parterres de roses ou de tulipes. Quoi que je fasse, je serai repéré. On ne voit pas de parterres de coquelicots. Ce sont des fleurs qui poussent, ça et là, parmi les autres. Et qui ne font pas long feu.

Les bons conseils d’une Tata

Ma très chère nièce,

Tu es grande maintenant, tu entres dans l’âge que l’on nomme ingrat de la presque adolescence. N’attends pas de moi les habituels conseils que tout le monde te rabâche (lutte à mort pour ta virginité, sois bien sage si tu veux réussir dans la vie, ne monte jamais en voiture avec un inconnu, garde ta ligne et j’en passe). Je voudrais réellement t’aider pour ce qui risque d’être les meilleures années de ta vie.

Tout d’abord, ne fais pas de choses stupides. Ne fais pas le mur pour sortir, tu finiras par te faire avoir. Si tu dis que tu vas dormir chez une amie, mets-la au moins dans la confidence, ça t’évitera bien des soucis.

Choisis pour meilleure amie “quelqu’un de bien” que tes parents approuveront sans réserve. Paie-la s’il le faut. Si par chance tes parents croient que ta complice de toujours est un ange, ne les détrompe surtout jamais. Même s’ils essaient de te comparer à elle et que tu ne lui arrives pas à la cheville. Tous les parents ne donnent pas leur bénédiction aussi facilement. Profites-en à fond et couvre-la toujours.

Ne rentre jamais bourrée à la maison. Si tu prévois de boire beaucoup, trouve un endroit où dormir, même si c’est un caniveau. En revanche, les jours où tu seras “un peu pompette” fais comme si tu n’avais jamais bu autant et dis que tu ne te sens pas bien. Ils t’engueuleront sur le coup mais seront soulagés pour un moment.

Écoute d’une oreille attentive les gens qui te mettront en garde contre les garçons. Ils te diront que ce ne sont que de grands sacs d’hormones et qu’ils ne pensent qu’à une chose, peu importe leur comportement (les gentlemen, les poètes, les bad boys et les asociaux ne pensent qu’à ça, même s’ils ne savent pas tous comment mener à bien leurs projets). Cela est tout à fait vrai. Mais n’oublie jamais que tu ne vaudras pas mieux et qu’aussi fleur bleue ou amoureuse tu penseras être, tu n’es toi aussi qu’une amphore remplie d’hormones en quête de sensations. D’où mon conseil : arrange toi pour ne pas tomber enceinte, et pour qu’au moins une de tes amies te couvre et sache où tu es (si tu dois être dans une situation délicate, choisis une amie de confiance, muette de préférence).

Enfin, ne te confie jamais à ta grand-mère. Aussi sûre qu’elle puisse te paraître, un jour ou l’autre elle ne manquera pas l’occasion de rappeler à ta mère à quel point elle te connaît mieux qu’elle et étalera ta vie privée.

Mon très cher neveu,

Pour toi, c’est plus simple. Mène ta vie amoureuse comme tu l’entends -quoi que tu fasses, ce sera bien. Mais si tu veux avoir la paix et éviter questions ou sous-entendus, pense à inviter quelques amies (paie-les s’il le faut) présentables. Ramène aussi épisodiquement des amies non présentables -voire carrément vulgaires- pour que le jour où tu présenteras l’élu(e) de ton coeur, la comparaison soit toujours en sa faveur.

Dans la mesure du possible, évite de faire des trucs illégaux, et, surtout, si tu le fais, n’en réfère pas à un adulte bienveillant dont le premier souci sera de te remettre dans le droit chemin (c’est valable pour moi aussi).

Enfin, ne sois pas trop sage, ça paraîtra toujours louche. Même si tu n’aspires qu’à écrire de beaux poèmes dans ta chambre d’étudiant, laisse toujours tes parents croire que tu es quelqu’un d’espiègle et qu’ils ont finalement de la chance que tu ne sois pas un “vrai” délinquant, mais seulement un adolescent un peu fou-fou et plutôt bien canalisé. Note que ce conseil s’applique également si tu es un “vrai” délinquant. N’essaie pas de jouer les fils modèles, ça attirerait trop d’attentions sur toi. Fais régulièrement des choses stupides mais sans conséquence, c’est un camouflage bien plus efficace.

Voilà, mes chers enfants. profitez à fond de ces années dorées. En cas de problème, pensez bien à détruire cette lettre et ne parlez pas de moi. Vous apprendrez ainsi à assumer les conséquences de vos actes et vous deviendrez des adultes responsables.

Je vous embrasse bien fort,

Votre Tata qui vous aime.

Ce n’est pas le physique qui compte

Ce n’est pas le physique qui compte. Voilà ce qu’a dit ce matin la maman de Justine à sa fille. Parce qu’elle venait de se moquer d’une fille de son âge à cause de sa petite taille, Justine s’est pris ce mensonge en pleine tête. Bien mérité, me direz vous, elle n’avait qu’à pas se moquer. Mais quoi de plus faux que cette petite phrase qu’on répète à tout bout de champs… Oh, bien sûr, le physique ne fait pas la personne. On peut même être quelqu’un de très bien en étant moche comme un pou. Parce que les critères esthétiques ne sont pas universels, tous les goûts sont dans la nature, ce qui compte c’est la beauté intérieure, chacun peut trouver chaussure à son pieds, et caetera… Mais quand on demande à Justine de bien s’habiller pour aller à l’école le jour de la rentrée, c’est bien que son apparence va avoir une quelconque importance. Quand sa maman se maquille et se coiffe pour voir son voisin, ça ne compte pas, peut être? Pourquoi est-ce qu’elle a si envie d’être amie avec le petit nouveau qu’elle ne connait pas, alors qu’elle n’a jamais voulu adresser la parole au grand Xavier qui est pourtant depuis deux ans dans sa classe? Au final elle ne connait ni l’un ni l’autre, mais elle se sent vraiment en phase avec Quentin, le petit nouveau, alors qu’elle ne croit rien partager avec Xavier. Ca doit être des broutilles, sûrement. Les adultes doivent savoir de quoi ils parlent. Mais quand même quelle drôle d’idée ! Si c’était si peu important le physique, pourquoi est-ce qu’on s’embête tant avec ça? Pourquoi est-ce qu’on y tient tant, à ce corps, qui est si insignifiant face à notre intelligence, notre sens de l’humour, notre gentillesse?

Si Justine avait conscience de tout cela, elle traiterait sa mère d’hypocrite et lui expliquerait patiemment que notre apprence, c’est notre carte de visite, notre premier contact avec notre environnement et nos semblables. Que sans se baser sur des critères esthétiques, la première impression (qui est censée être la bonne, selon la croyance populaire) laisse une marque, qui peut être tenace… Seulement Justine est trop jeune pour répondre à sa mère de la sorte, et elle essaie de se mettre dans la tête, pour lui faire plaisir, que le physique ne compte pas et que c’est vraiment une méchante fille. Et ça, ça compte, si on en croit ses parents.