Pleins d’espoir, le niveau d’énergie au maximum et l’esprit de compétition ancré dans leurs gènes, les concurrents sont prêts au départ. Chacun pense être le meilleur pour la course de leur vie, ils attendent depuis deux heures déjà et leur motivation ne s’est pas encore émoussée. Ils ne savent pas si ceux qui ont couru hier ont remporté le trophée mais pensent tous que si c’était le cas, la course d’aujourd’hui serait annulée.
Maintenant, ils savent que le départ est imminent. Ils viennent de réagir aux premiers signaux (positionnement, préparation sur les starting-blocks…) et attendent, la tension au maximum, le moment fatidique du coup de départ. Cette fraction de seconde semble durer une éternité, et puis enfin, ils ressentent la décharge tant attendue et se lancent sans réfléchir, à toute allure, vers l’objectif.
Chacun tente au mieux de négocier le premier virage, sachant que la moindre chute sera éliminatoire. Les alliances se font et se défont en fonction de la configuration du terrain, car un candidat seul ne pourra jamais atteindre l’objectif suprême. Mais s’associer à un concurrent trop fort élimine toute chance de réussite personnelle. L’équilibre est fragile, il est sans cesse mis à mal et sans cesse renouvelé, tandis que les participants de cette folle épopée cherchent la victoire.
Subitement, un filet apparait devant les premiers qui ne peuvent l’éviter et se coincent dans ses mailles. La deuxième ligne pousse un énorme soupir en évitant les obstacles. Finalement, la vitesse n’était pas un avantage insurmontable, mais il faudra être prudents, maintenant que nous sommes les premiers…Plus ils avancent, et plus le vent, simple brise au début, devient violent. Certains sont emportés, les autres ne se retournent pas mais s’accrochent de toutes leurs forces. Tout est dans la détermination maintenant.
Enfin, ils arrivent sur la place où devrait se trouver la forteresse, mais ils n’aperçoivent qu’une place remplie de cadavres et de mourants, qui n’en ont que pour quelques heures, tout au plus. Les premiers arrivés sont alors forcés de perdre leur avantage pour attendre les retardataires, afin de tenir un conseil extraordinaire. Certains partent en free-lance explorer les couloirs alentours pour voir ce qu’il en est, essayant d’être malgré tout le héros du jour.
Un jeune nouveau revient, catastrophé, criant que la forteresse est en train d’arriver, en roulant ! C’est alors le branle-bas de combat, tout le monde se pousse sur les côtés pour ne pas se faire écraser par l’immense donjon qui se profile à l’horizon, à une vitesse folle. Quelques téméraires se lancent sur l’objet roulant, essayant d’entrer malgré les mises en garde de leurs compagnons. Leur tentative est vouée à l’échec.
Alors la masse des concurrents, comme un seul homme, se lance à l’assaut de leur cible, à mi-chemin entre le « chacun pour soi » et le « tous ensemble ». Certains passent les douves, en groupes serrés, et se heurtent malheureusement à un mur qui leur parait impénétrable. Le désespoir pointe son nez, certains y succombent et cèdent à la douce résignation de ne pas être le vainqueur, mais d’être quand même arrivé jusque là.
Mais la majorité redouble de courage, avec justement cette énergie que l’on puise lorsque tout est perdu ou presque, et tentent le tout pour le tout. Ils se délestent de tout équipement, puisent dans leurs dernières forces pour attaquer, tête la première, cet obstacle inattendu, rageant, mais qui doit être faillible.
Et soudain, ils sentent que tout a changé. Quelque chose dans le vent qui a tourné, une sorte d’électricité… Et puis la rumeur commence à circuler… Elle se propage à la vitesse d’un incendie de forêt en plein mois d’août, prend de la force jusqu’à ce qu’on entende plus que ça. Quelqu’un aurait réussi… Personne ne sait qui c’est, mais ils savent désormais qu’ils sont devenus complètement inutiles. Ils hésitent entre la déception amère de leur défaite, de leur mort imminente car il n’y a plus de retour pour eux, et la jubilation que leur apporte cette simple phrase: quelqu’un a réussi. C’est une certitude maintenant : ils ont réussi, ils ont pris cette légendaire forteresse, que tant d’autres ont cherché sans trouver, et même si aucun ici n’est le héros, la gloire de celui-ci rejaillira sur toute leur promotion. Alors ils fêtent leur victoire jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de lendemain.
Epilogue : sept ans plus tard
-Dis, Papa, comment est ce que j’ai été fabriquée, moi ?
– Ah, ma chérie, c’est une longue histoire… Alors, imagine que dans le ventre de ta maman, il y a un œuf, que l’on va appeler « la forteresse »…
…