Conte de l’Avent – Comment Joe le cha(t)foin estourbit un canard poilu dans la géode chatoyante – 1 –

Quand Joe est allé voir Samantha la Grise en cette première nuit de décembre, il cherchait seulement un moyen de se sentir bien dans sa peau. Victime d’une adolescence bien entamée et des éruptions cutanée qui l’accompagnaient, Joe tentait, sans succès, de compenser un physique qu’il qualifiait lui-même d’ingrat par mille et une facéties destinées à séduire ses semblables. Malgré tous ses efforts, les garçons, qui s’imaginaient déjà hommes, l’appelaient Fœtus le Ménestrel et les filles ne lui adressaient la parole que lorsqu’elles pouvaient glisser méchamment une allusion aux calculatrices ou aux pizzas.

Quand Samantha la Grise le vit arriver, en piteux état, trempé et tremblant de froid à la porte de son T2 à Clichy, elle lui assura qu’elle avait une solution imparable pour soigner aussi bien son apparence disgracieuse que son vague-à-l’âme. Ni une, ni deux, elle le transforma en chat.

Retour d’expérience

Cette histoire a lieu après les évènements de “La boutique de la nuit

Deux mois depuis qu’Isabel m’a quitté. Pour la douzième nuit consécutive, je ne trouve pas le sommeil et je sors déambuler dans la rue jusqu’au matin. 3h18, les lampadaires sont éteints dans mon quartier, il n’y a pas de lune pour éclaircir les ténèbres et guider mes pas. Épisodiquement, une étoile luit avant d’être happée par un nuage.

Comme lors de mes onze précédentes escapades, je marche au hasard, m’enfonçant seul dans la nuit sans but, anesthésiant mes ruminations dans l’air frais de la ville. À un coin de rue, dans un quartier où je ne suis encore jamais allé, une silhouette menue, enveloppée de la tête aux chevilles d’une longue cape rouge, bifurque dans une ruelle. Intrigué, je la suis de loin, ne souhaitant pas l’effrayer. À chaque intersection, je distingue le tissu écarlate qui disparait, insaisissable mais toujours présent. Franchement curieux, j’accélère sensiblement, espérant lier connaissance avec cette âme qui vagabonde comme moi au cœur des ténèbres, mais la cape rouge ne se laisse pas rattraper. Je déboule sur une large avenue aux devantures illuminées, dans un quartier qui me paraît familier. Plus de trace de la silhouette, mais l’enseigne qui clignote de l’autre côté de la rue me laisse stupéfait. Les 7 nuits, cette boutique que j’avais cru rêver il y a plus de cinq ans.

En entrant dans la boutique, l’impression de déjà-vu est tellement forte que je m’attends à retrouver mon sosie derrière le comptoir, mais c’est un homme plutôt petit, très fluet, au visage juvénile, entièrement vêtu de gris qui m’accueille, une cape rouge suspendue à un crochet derrière lui. D’une voix étrangement grave vue son apparente jeunesse, il me souhaite la bienvenue, m’indiquant qu’il s’agit de ma deuxième visite et qu’il m’en reste cinq. Il me laisse chercher ce qu’il me faut mais se tient à ma disposition si j’ai la moindre question. Je le remercie et j’avance, sûr de moi, vers le troisième rayon à ma gauche.

Je retrouve sur les étagères les cubes bleu nuit aux inscriptions dorées. “Premier baiser”, “Nouvelle rencontre”, “Tous les possibles”, “Fougue adolescente”, “Intimité partagée”, “Effleurement fortuit”, “Serre-moi fort”, “Contacts maladroits”, “Caresses des yeux”, “Slow au camping”, “Flirt innocent”, “Conversations avides”… font face aux “Trahison d’un ami”, “Désir éteint”, “Reproche en public”, “Larmes de solitude à côté d’un corps endormi”, “Petits mensonges ordinaires”, “Espace vital envahi”, “Infidélité découverte par hasard”, “C’est de ma faute, tu n’y peux rien”, “Idées noires à ressasser”… Un espace vide se situe au-dessus de l’étiquette “Rupture soudaine sans explication”, avec un petit panonceau indiquant “rupture de stock”. Sans hésiter, je m’empare d’un cube “Soupir au creux du cou”.

Pour seule indication, sous chaque cube, une étiquette reprend le nom du produit et les intensités dans lesquelles il est disponible, avec une échelle de une à cinq étoiles. Alors que je m’interroge sur les modalités de paiement, le gérant s’approche de moi et m’explique que pour retirer une boîte, il me faut céder à la boutique une expérience d’intensité au moins équivalente à celle que je désire, le choix de ce que j’échange étant entièrement laissé à mon appréciation. Je hoche la tête et le suit jusqu’à la caisse, où je précise que je souhaite une intensité de trois sur ma boîte de “Soupir au creux du cou”. Il me demande si c’est pour moi ou pour offrir, et, devant mon incompréhension, m’explique que tous les cubes peuvent être offerts à d’autres personnes, qui n’ont pas la possibilité de les refuser, mais que l’expérience échangée est nécessairement la mienne. Je lui indique que c’est pour moi et que je peux compléter la place vide au niveau de “Rupture soudaine sans explication”, pour une intensité de quatre, si c’est possible.

Il me tend alors un cube vide, que je dois tenir contre mon cœur pendant que j’évoque une dernière fois le tourbillon d’émotions que j’ai ressenties lorsque Isabel est partie. Je revois sa valise prête sur le lit, ma panique au moment où j’ai levé les yeux sur son visage désolé mais résolu, le vide béant croissant au fond du cœur les jours suivants, l’hébétude, l’impression cotonneuse au quotidien, et les mille questions auxquelles elle n’a jamais répondu. Je revis ce souvenir avec toute la violence de cette première fois, sans l’atténuation que ces deux derniers mois avaient pu me procurer. Et puis plus rien. Une fois que cette évocation douloureuse est terminée, la torpeur et l’asphyxie qui m’accompagnaient depuis le départ d’Isabel disparaissent, me laissant une légère sensation de vertige. Le vendeur récupère avec précaution la boîte que je serre toujours contre mon cœur et me donne le sachet contenant ma précieuse acquisition.

En sortant de la boutique, il fait presque jour et Mars brille d’une lueur orangée dans le bleu encore sombre au-dessus de la clarté de l’aurore. Étrangement serein, je rentre chez moi sans douter de mon itinéraire. Allongé sur le sofa, appréciant le lever du jour à travers la baie vitrée du salon, je fais tourner délicatement le cube bleu entre mes mains. Sans impatience, parfaitement confiant, je ferme les yeux et ouvre la boîte. Je sens alors comme un corps pressé contre le mien, que je ne peux saisir mais qui m’emplit d’une sensation de plénitude. Un souffle parcourt mon cou, léger au niveau de l’arrière de l’oreille, et de plus en plus chaud et profond à mesure qu’il descend  vers la clavicule, laissant à peine deviner qu’une pointe de langue pourrait suivre cette haleine déposée sur ma peau. Mon épiderme se fait chair de poule, un puissant frisson, courant de la racine des cheveux aux ongles des orteils, m’emporte enfin dans un sommeil profond.

La boutique de la nuit

2h07, je descends le rideau de l’épicerie 7J, je le cadenasse soigneusement, puis, comme chaque soir, j’éteins l’enseigne, entérinant la fermeture. Après 8h passées derrière le tiroir-caisse, à faire de la mise en rayon ou des mots croisés, je respire à pleins poumons l’air frais d’octobre. La lune est pleine, mais j’ai du mal à appréhender la quantité d’étoiles avec les lampadaires allumés. Je marche lentement, savourant les mouvements souples et nonchalants qui me ramèneront chez moi. Au passage piétons, je m’arrête, attendant le feu vert, juste pour le plaisir d’une pause alors que la rue est déserte.

En traversant, je sens une petite main agripper mon coude et me tirer en arrière. Je ne cherche pas à résister, et, au moment où je me retourne pour voir qui m’attrape, une Chrysler passe à toute allure, tous feux éteints, grillant le feu rouge pourtant bien installé. Je cherche autour de moi qui remercier pour m’avoir, au choix, sauvé la vie ou évité de grandes souffrances, mais je ne trouve qu’une carte de visite, tache blanche au niveau du sol. “La Nuit, boutique sur mesure, ouverture éphémère”. Rien au verso, pas le moindre plan ou numéro à contacter. La carte est comme neuve, il est improbable qu’elle soit tombée aux heures de pointe, elle aurait été piétinée, écornée, salie, déchirée.

Je fais un tour sur moi-même pour retrouver mon ange gardien, mais nulle trace d’une quelconque conscience dans les rues désertes. Quand je vais pour reprendre la route de mon appartement, le passage piétons a disparu. Je regarde de tous côtés, des fois que je sois juste désorienté, mais non. Je ne reconnais pas l’intersection. Derrière moi, l’enseigne de l’épicerie est de nouveau allumée. Je retourne sur mes pas, hésitant. Peut-être, par automatisme, ai-je cru éteindre sans le faire réellement ? Accélérant l’allure, j’arrive devant le rideau de fer. Ouvert. Au comptoir, je me vois tendre un sachet et rendre la monnaie. Les néons à l’intérieur sont éclatant, je plisse les yeux et m’approche pour mieux voir.

Je suis effectivement assis derrière la caisse, faisant passer machinalement quelques articles devant le scanner. J’entre, déconcerté. Je me salue d’un “bonjour” plutôt timide auquel me répond un “bonsoir” énergique. C’est bien mon intonation de voix. Je ressors de la boutique, cherchant des caméras ou le détail qui trahirait un canular. Levant la tête, je vois que l’enseigne lumineuse, toujours allumée, indique “7 nuits”, au lieu du 7J habituel. Mis à part mon sosie, personne ne m’a adressé la parole.

De retour à l’intérieur, je fais le tour des rayons, qui suivent un plan similaire à celui de mon épicerie, mais les références ont changé. Je ne trouve plus les pâtes, les packs de lait ni les bouteilles de vin. Sur les étagères, des boîtes à perte de vue, toutes identiques, des cubes bleu nuit de dix centimètres de côté, excepté leurs inscriptions, en petites lettres jaunes. Ici, nous trouvons du “sommeil de plomb”, de la “fièvre”, des “envies”, de la “nostalgie”, de l'”assurance”, de la “chaleur”, des “éclats de rire”, de l'”inspiration”. Le rayon suivant est plutôt branché astronomie : “Voie Lactée”, “Trou noir”, “Perséides”, “Vénus”… Le suivant a une tournure plus onirique : “le pays des Elfes”, “Voyages dans le temps”, “Animaux Fabuleux”, “Superpouvoirs”, “Vols et apnées”, “Sueurs Froides”, “Plus Vrai que Nature”… Et ça continue comme ça, allée après allée.

Troublé, je m’approche de la sortie, me cherchant du regard. Je me souhaite une bonne soirée, de l’air du client qui passait pour voir mais n’a rien trouvé. Je m’entends répondre qu’il me reste encore six visites, et “bonne nuit bien sûr !”

Je marche, sur pilote automatique, jusque chez moi. Les vingt minutes de trajet se déroulent cette fois-ci sans encombre. Du mini-balcon de la cuisine, je regarde la ville, paisible, sous mes pieds.  En levant le nez au ciel, je jette un dernier coup d’œil à la lune avant d’aller me coucher, épuisé. Elle est magnifique, simple lame de poignard lumineux, jouant à cache-cache derrière un nuage qu’elle déchiquette.

Bazarder le présent

Noël et ses fêtes sont derrière Capucine Jackson et elle se retrouve avec un encombrant présent sur les bras. Trop de secondes qui filent et s’étirent, dans une course effrénée, mais qu’elle regarderait au ralenti. Une cape de solitude se dépose sur ses frêles épaules, flocon après flocon, à chaque baiser d’au-revoir à ses proches. Capucine feinte et s’occupe, une minute après l’autre, trottinant pour remettre un semblant d’ordre dans la maison tout en ressassant la question fatidique : Comment se débarrasser du traînant présent sans pour autant attirer l’attention du futur, qui s’invitera bien assez tôt de lui-même ?

Quand tombe la nuit, Capucine Jackson a une idée. Elle bricole près d’une heure dans sa cave puis sort de chez elle. Elle arpente les ruelles en quette d’enfants tendant leur menotte en bâillant. Emmitouflée dans son chaud manteau d’hiver, elle guette des yeux qui brilleraient à hauteur de mollets, petites étincelles de vie vacillant sous les bourrasques du froid, de la faim et du cynisme. À petits pas pressés, elle arpente les quartiers les plus sombres de la ville, jusqu’à trouver une perle d’innocence, grelottant de froid sous une couverture, les yeux humides et la goutte au nez, à côté d’une femme au regard éteint, qui pourrait être sa mère. À leurs pieds, une pancarte à l’orthographe approximative demandant de quoi manger et soigner un hypothétique petit frère.

Capucine se penche et essaie d’engager la conversation. Comme elle s’y attendait, la mère ne la comprend pas et le petit sert d’interprète, omettant au fil de la conversation des pans de plus en plus larges de ses propos. Passées les banalités d’usage concernant le froid, la faim et l’état de santé des deux sans-abris, Capucine Jackson fouille son portefeuille à la recherche d’une ou deux pièces à offrir. Puis elle demande au petit comment il occupe ses journées sur son bout de trottoir. Il lui explique que quand sa mère le peut, elle lui apprend à lire et à compter. Il fait des paris sur les passants : qui s’arrêtera, qui sera méprisant, qui aura un air de pitié mêlé de culpabilité en accélérant le pas, qui les chassera. Il dort quand il peut, caché dans le giron maternel. Il chantonne avec elle les comptines folkloriques du pays de ses ancêtres. Il s’ennuie, souvent. Il l’écoute lui raconter la vie au Pays qu’il n’a pas connu. Rêve lui aussi à ce passé révolu, mais chaque jour plus attirant. La misère et la guerre de cet ailleurs sont mystérieux, la vie y est à la fois plus dure et plus douce, les aventures sont toutes plus extraordinaires les unes que les autres, la nostalgie maternelle colore en pastel cette patrie abandonnée à la hâte il y a presque dix ans.

Alors Capucine se lance et expose sa proposition au petit. Elle lui offre son présent. Toutes les secondes dont elle ne fait rien, il pourra les utiliser, comme un refuge dans la chaleur et le confort, ou comme escapade imaginaire. Il pourrait disposer de ce temps comme bon lui semble, hors de son corps d’enfant. Capucine serait simple spectatrice, légèrement en retrait de ses sens. L’expérience serait à peine plus qu’un rêve pour elle, sur lequel elle n’aurait aucun contrôle. La mère du garçon ne se rendrait compte de rien : ce ne serait que du temps supplémentaire, en marge de sa vie. Un peu comme une double ration temporelle simultanée, pendant que Capucine lui céderait régulièrement les bouts de présent qui l’embarrassent. Ainsi elle pourrait se concentrer sur les instants qui lui sont chers, sans avoir à occuper les heures entre deux perles de vie.

L’enfant est hésitant. Cela fait longtemps qu’il discute avec Capucine sans plus rien traduire à sa mère. Il aimerait avoir son avis mais connaît instinctivement sa réponse. Du bas de ses six ans, il marchande avec l’inconnue qui semble si décidée. Il veut l’assurance qu’il pourra arrêter à tout moment. Se réserve le droit de demander une réciprocité, plus tard, si son présent se mettait aussi à lui peser. Exige qu’à portée du corps de Capucine se trouve toujours à boire et à manger au moment de ses fugues. Demande de l’argent en plus pour son frère, parce qu’il n’a pas eu de cadeau de Noël. Capucine Jackson pèse le pour et et le contre, puis cède sur tout, sans précipitation. Alors l’enfant tend hardiment sa main. Capucine l’enveloppe de sa main gantée et y dépose un petit galet orné d’une pierre bleue en son centre. Le galet est doux et chaud. La pierre, froide comme la neige. Capucine explique le fonctionnement de l’objet, le changement de température et de couleur de la pierre lors de l’Appel. La pression à exercer successivement sur chaque bord du galet puis sur la pierre centrale. Le gamin hoche la tête, l’air grave. Il a compris, il répondra. Ne serait-ce qu’une fois, pour voir.

Capucine Jackson se relève lentement, ses jambes sont engourdies d’être restée accroupie si longtemps. Elle salue d’un signe de tête la mère et l’enfant, puis s’éloigne à petits pas, qui gagnent en assurance à chaque coin de rue. Sur ses lèvres, un sourire s’épanouit.

Nouveau départ

Saint-Étienne, le 15 mai 2028

“Éloignez-vous de la bordure du quai, s’il vous plaît”.

Aussitôt l’annonce terminée, le quai noircit d’une foule qui n’attendait que ce signal pour se précipiter à l’assaut du train qui entre en gare, le dernier avant longtemps. Mon sac ramené contre ma poitrine, je joue des coudes au milieu de la masse qui s’agite comme des mouettes survolant le sillage d’un chalutier. J’ai peu de temps pour monter dans un wagon déjà bondé, les portes se referment de force tandis que les déçus tapent sur les vitres ou crient leur frustration ou leur désespoir. Ils n’ont aucun moyen de prévenir ceux qu’ils essaient de rejoindre, plus d’autre choix que de marcher ou d’attendre le passage incertain d’un prochain convoi.

Tous ceux qui disposaient d’un moyen de transport et d’un peu de carburant (ou mieux, de vélos) sont partis rejoindre les campagnes ou les petites villes de province. La quarantaine passée, les trains recommencent à circuler, sporadiquement. Je tente ma chance sur la ligne Lyon / Clermont-Ferrand, en espérant trouver refuge dans un village de la Loire. Je suis en bonne santé et je peux travailler dur, remplacer les ouvriers agricoles qui manquent à l’appel, en échange du gîte et du couvert. Un regard autour de moi me confirme que nous sommes nombreux dans ce cas, il faudra que je me démarque pour me faire embaucher, ou que je trouve une ferme abandonnée pour refuge. Maintenant que la pandémie de 2026 est enfin derrière nous, il est temps de ramasser ce qu’il reste du pays.

Cette pandémie, personne n’y croyait. Une énième crise sanitaire pour écouler les stocks de vaccins et de médicaments des industries pharmaceutiques, ça sentait le scandale à plein nez. Moi la première, je n’ai compris l’ampleur du problème que bien trop tard. Un nouveau virus, le HAR, transmis par le moustique tigre – devenu très commun sur une grande partie de la planète avec la hausse des températures – s’est répandu dans la population comme une traînée de poudre. Comme il n’était a priori pas mortel et relativement bénin (tout au plus de la fièvre et des douleurs articulaires passagères), les autorités n’ont pas financé massivement les recherches de traitements. Quand la grippe saisonnière a tué plus que qu’à l’accoutumée, il y a de cela trois ans, des études ont été menées. Lorsque les deux virus cohabitent chez une même personne, celui de la grippe est plus virulent et le patient meurt rapidement. Cela a été confirmé l’hiver suivant. Les autorités de tous les pays ont alors tenté de juguler la crise, certains faisant un stock de vaccins anti-grippe, d’autres investissant dans la recherche sur le HAR. Puis, devant le nombre de personnes co-infectées, les chefs d’État ont pris, les uns après les autres, des mesures de confinement de la population pour éviter, enfin, la propagation de la grippe. Bien trop tard en ce qui nous concerne, la population française a été décimée et les survivants sont éparpillés. Les dictatures ont été plus rapides mais ont quand même subi de lourdes pertes.

Les gares défilent, les voyageurs s’entassent, je m’enfonce dans mes pensées. La majorité des travailleurs d’hier sont morts, les sans-abri les avaient précédé dans l’indifférence générale et les patrons, après les grandes faillites, sont devenus les nouveaux pauvres. Les survivants ruraux s’en sortent mieux que les autres, pays d’Afrique et d’Asie en tête. Les pouvoirs sont redistribués, le rythme de circulation des marchandises, personnes et nouvelles s’est considérablement ralenti. Le Monde redécouvre le présent après de longues années frénétiques, laissant la planète respirer un peu et renouveler ce qui peut l’être. Comme ça ne va pas durer très longtemps, je me prépare. D’abord, un travail agricole, une bonne situation, être autonome. Ne plus être pauvre. Ne pas rater le coche. Noirétable, ça sonne bien. Je descends, prête à entamer ma nouvelle vie.