Oh les filles !

« Nan, mais toi, t’es pas une vraie fille ». Le plus beau compliment qu’on pouvait me faire lorsque j’étais adolescente. J’avais intériorisé tellement fort qu’une fille ça fait des chichis, c’est superficiel, c’est fragile et ça ne vit que par rapport à d’autres que je refusais tout simplement d’appartenir au « beau sexe ». Éternelles Doc’s aux pieds, surtout pas de vêtements moulants ou décolletés, jamais de maquillage et coiffure hasardeuse, je ne cherchais que la compagnie des garçons et essayais de me faire passer pour l’un d’eux. J’aimais la simplicité de ces rapports sociaux simples et francs, que j’imaginais particuliers et tellement contraires aux ambiances plus féminines et « langues de putes ».

Il m’en a fallu, du temps et des rencontres, pour raisonner en terme d’individu, non de genre, et comprendre qu’être femme n’est pas une tare à masquer ou gommer coûte que coûte. Qu’il n’est nul besoin de renier sa part de féminité pour être authentique, originale, intéressante. Et qu’être femme ne se résume pas à porter jupes et talons ou à être douce et bien élevée.

Pour preuve mes amies au caractère bien trempé, drôles, émouvantes, indépendantes, intelligentes. Je ne me passerais plus d’elles. Pour parler de politique, d’art, d’éducation, d’amours, des systèmes, des gens, des galères, des joies, des défis, des attentes. De tout. Pour s’aider, se conseiller, se supporter. S’inquiéter parfois. Et rire, beaucoup. S’apprécier. En toute simplicité, en toute franchise, sans chichi aucun et sans jugement, s’attacher profondément.

Merci à mes amies de me rappeler, jour après jour, que les qualités d’une personne ne tiennent pas aux hormones qu’elles produisent. Continuez à être vous et à prouver qu’il y a mille manières d’être femme. Et qu’il n’y a à rougir d’aucune d’entre elles.

À ne pas lire

Chassez l’interdit, il revient au galop. Le hors de portée s’érige en intolérable. C’est fou le pouvoir d’un non, même non-dit. Un peu comme un bouton de moustique, un bout de peau qui dépasse, une dent branlante. Magnétique. Hypnotique. Feu follet pour papillon, l’inaccessible attire et se nourrit de fantasmes avortés. Ça titille la conscience périphérique comme un clignotant mental. N’y pense pas. N’y pense pas.

Ça finira par passer. Il suffira que l’inenvisageable devienne abordable pour que les évidences s’imposent. L’agaçant, le décevant ou le rédhibitoire noieront les dernières braises.

Pour l’instant, n’y pense pas.

Ni être, ni avoir

Quand avoir étouffe sous ses trésors amassés coûte que coûte et peine à trouver du sens aux vies. Quand être s’égare à force de trop se chercher. Quand avoir brille d’illusions bientôt évaporées. Quand être oscille entre la grenouille et le bœuf. Quand avoir ne se contente de rien et alors qu’être absorbe tout.

Quand les auxiliaires arrêteront de monopoliser les devants de scène pour regagner leur place d’assistants, alors émergeront de nouveaux verbes en verve. Faire l’entreprenant pourrait bien marquer les esprits ou l’Histoire. Sentir et ressentir coloreront le monde et conjugueront la vie au présent. Aimer et vibrer se donneront la réplique pour contraster tout ce qu’ils touchent. Oser, tester et tenter, les triplés qui ouvrent grand les perspectives et épicent les existences. Et le plus exigent de tous, choisir, qui a besoin de l’appui de tous les autres sans jamais rien garantir.

Renversons enfin la dictature des dichotomies et explorons tous les possibles de  vocabulaire !

Pile ou face ?

Fébrilité. Anticiper cent fois l’action. Actualiser en rafales. Rien de neuf. Évidemment. Se changer les idées une petite heure. Revenir en cinq minutes. Actualiser, encore. Et encore. Maladif. Frénétique. Pendant que les doigts pressent compulsivement les touches, le cortex s’affole en imaginant la liste enfin affichée. Survoler rapidement les noms, se chercher. Deux scénarios alternent alors à la vitesse du cœur qui s’emballe.

Boum. Le nom n’est pas là. Devenir blanche tellement le sang en oublie de circuler.

Boum. S’apercevoir.

Boum. Se chercher. Encore. Scrupuleusement.

Boum. Lire avec délectation les sigles familiers.

Boum. Actualiser, au cas où.

Boum. Le futur défile à vive allure, joie, fête, champagne. Déménagement et déjà rentrée des classes, en un clin d’œil, la retraite est là.

Boum. Rater quelques battements. Une erreur, c’est une erreur. Ça ne peut être qu’une erreur.

Pas le temps de s’attacher à un script, pas le temps de le détailler, déjà l’autre se sur-imprime en zapping fou. Actualiser. Regarder l’heure. Ce ne sera pas pour aujourd’hui. Recommencer demain, alors.

Les dissociées

D’une main tremblante, elle s’empare du micro, puis se lance, la voix hésitante. À peine a-t-elle commencé à parler que j’ai déjà perdu le fil, absorbée dans mes pensées. Après tout, je connais par cœur tout ce qu’elle va dire.

… professeurs qui avaient le sens de la formulation et qui ont pavé ma route de panneaux “toutes directions”.

Déjà la fin, je fais un effort pour me concentrer, il ne faudra pas que je rate les applaudissements, ça se remarquerait.

Et finalement, merci à la moi de vingt ans d’avoir si bien travaillé dans cette vie d’ivresse et d’insouciance ; merci d’avoir prémâché mon travail d’aujourd’hui, sans avoir la moindre idée à l’époque de combien ça compterait pour moi maintenant ; merci d’avoir été cette fille pas studieuse pour un sou mais assez sérieuse dans ses choix. Merci au passage à la moi d’il y a deux heures et dix minutes d’avoir posé ses toutes dernières idées par écrit pour que je les retrouve facilement ce soir devant vous. C’est bon de pouvoir compter sur vous.

Tiens, celle-là, je ne m’y attendais pas, on dirait que c’est sorti tout seul. Pas mal, comme idée. Il faudra que je la note, merci d’y avoir pensé. Il n’y a pas de quoi, ça me fait plaisir de nous être utile…