Feu de camp au secrétariat

Dans les décombres, on a retrouvé des palettes, des dossiers à demi consumés, des chaises de bureau archaïques. Un torchon imbibé d’essence semble être à l’origine du sinistre. Les analyses d’ADN ainsi que certains graffitis obscènes indiquent que la stagiaire du secrétariat serait responsable de cet acte de vandalisme. D’autant que des figurines à l’effigie de ses supérieures ont été retrouvées parmi les cendres.

Ces dernières, sous le choc, cherchent des pistes sur ce qui aurait pu faire craquer la dernière venue dans leur équipe. Elle était très travailleuse, prenait ses tâches à cœur de sorte qu’elle s’est vue confier de réelles responsabilités. Rien qui ne justifie un tel déchaînement de violence, vraiment.

Lorsqu’elle fut retrouvée, la stagiaire en question a été interrogée de longues heures. Elle a admis avoir été bien traitée lors de son stage, avoir effectué un vrai travail de secrétariat. Elle avoue s’être investie sur son poste et avoir espéré être embauchée durablement. Ce qui aurait été concrétisé si elle n’avait pas perdu les pédales.

À l’approche des vacances, elle a travaillé d’arrache-pied pour que chaque élève trouve réponse à ses questions, que chaque professeur puisse quitter l’établissement l’esprit tranquille. Et  puis chacun est parti, sans un mot, sans un regard pour tous les dossiers qu’elle avait si laborieusement classés, sans même récupérer les commandes qu’ils avaient pu passer. Les secrétaires en poste, après avoir fait un pot de fin d’année, sont parties chacune de leur côté sans lui dire au revoir, l’oubliant presque dans le local où elle rangeait les restes des festivités.

Bien sûr elle ignorait la décision du directeur de la garder. Bien sûr elle ignorait que tout le monde était parti en hâte pour lui organiser une soirée à laquelle elle n’est finalement jamais venue. Elle n’a pas eu le temps d’entendre leurs éloges. Son sang n’avait fait qu’un tour, sa vengeance était en cours et elle était déjà loin quand l’équipe se réunissait au bas de son immeuble pour l’inviter à fêter la fin de son année si studieuse -et heureuse. Elle n’est rentrée en ville qu’en entendant au journal les commentaires ahuris de ses collègues qui semblaient tant l’estimer. Avant.

Amants à mi-temps

“Dis, si on faisait l’amour ?”

Elle s’est pelotonnée contre moi, a caché son visage dans mon cou, me laissant totalement dépourvu. Exactement comme la première fois qu’elle me l’avait proposé, complètement saoule à une soirée. Je n’en avais pas tenu compte, à l’époque.

J’ai caché mon trouble en la serrant contre moi, comme je l’ai déjà fait tant de fois, en toute innocence. Et c’est en toute innocence que nous avons accédé à sa requête, comme les deux amis que nous sommes. Éclats de rires et complicité se sont enchaînés toute la soirée, avant qu’elle ne rentre chez elle, comme d’habitude.

La vie a repris son cours, nous étions toujours les mêmes, inséparables et naturels. Mais quand elle le voulait, entre une soirée ciné et un café gourmand, je répondais présent pour être avec elle un tout peu plus que son ami à plein temps.

Anyone else but you

Le vent fripon

Au milieu de la bourrasque, la fille colle ses deux mains contre ses cuisses. Autour d’elle, quelques paires d’yeux attendent, l’air de rien, que le vent réussisse son coup. Un bout de jupe se soulève par-ci, un sourire gourmand se dessine sur le visage des automobilistes. Elle tente de maintenir ses cheveux en place, sa jupe s’envole à mi-cuisse et les passants tournent la tête sans plus se soucier de discrétion. Au fond d’elle-même elle est tentée, histoire de voir ce qui se passerait, de lever les bras bien haut et d’attendre, là, que ce coquin de vent la déshabille aux yeux de tous. Au lieu de quoi elle prend un air ingénu, serre les jambes et plaque le tissu sur ses formes, les soulignant un peu plus encore.

Derniers détails

Elle a bien pris son maillot de bain. Elle oublierait son pyjama ou  sa brosse à dents, mais son maillot de bain est dans la valise. Au cas où. Comme le doudou du petit. Tandis qu’on la presse de se dépêcher, elle vérifie mentalement que tout est bon. Elle a fait au plus vite, et comme elle ne connait pas exactement sa destination, elle a pris un peu de tout. Pulls et chemisiers, langes, jupes et pantalons. Un exemplaire de chaque sauf les sous-vêtements, cinq pour chacun, avec du savon pour faire elle-même ses lessives si besoin. D’un rapide coup d’œil elle embrasse l’appartement, à la recherche d’une bricole oubliée. D’un geste, son escorte lui indique la chaise du salon, sur laquelle sa veste est posée. Il ne faudrait tout de même pas qu’elle oublie son étoile…

Quand il n’y aura plus de “demain”

Je commence Demain

Au dernier jour, quand j’aurai tout repoussé, tout retardé, tout remis à un hypothétique demain en espérant qu’il ne vienne jamais, je mourrai épuisé par la tâche cette fois-ci in-ajournable qui m’attendra alors. Faites donc que j’en meure vite et qu’en petit filou, une fois de plus, j’esquive l’obligatoire, l’urgent, l’incontournable. Faites que j’aie raison et qu’il se trouve bien quelqu’un quelque part pour terminer un jour ou l’autre ce que j’aurais dû achever il y a longtemps déjà. J’espère que je n’aurai pas à trimer jusqu’au bout du bout pour tout plier, un superviseur me surveillant jusqu’à la fin et attendant de tranquillement récupérer mon dernier souffle. Quoique… Si c’était le cas, au pire, j’en aurais bien profité avant, non ?