Je l’ai vue entrer avant toi. Je t’observe alors que tu ne l’as pas encore vue. Je scrute l’instant où tu remarques sa présence, même si tu fais mine de ne pas bouger d’un poil. Tout en toi a changé. Chaque fibre de toi sourit, seules tes lèvres restent en place. Est-ce un redressement de quelques millimètres, un maintien à peine corrigé, un éclat dans les yeux? Tu es rayonnant, illuminé. Tu ne dis rien mais tout ton corps hurle ta joie de la savoir là, dans la même pièce que toi. Même elle s’en rend compte, première concernée supposée être aveugle. S’il n’y a qu’une personne à ne pas noter ton air béat qui fait mine de rien, c’est toi. Même tes cheveux s’embataillent pour te donner un genre. Ton corps te trahit pour livrer le message que tu ne pourras jamais lui dire, et qu’elle ne voudra jamais entendre. Ainsi, tout est reçu cinq sur cinq, la vie pour nous peut continuer.
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Sans nom
Ne m’appelez pas fille facile, je suis si exigeante, si difficile à contenter, à garder. C’est bien pour ça que je teste, j’essaie un peu par ici, par là en essayant sans cesse de trouver un bout de bonheur. Ne me dites pas que coucher sans sentiments, c’est mal. Je prends mon plaisir où je veux, où je peux et c’est bien mieux comme ça. Les sentiments peuvent venir, s’ils veulent, je les accueille à bras ouverts, comme le reste. Ne pensez pas que je vaux moins que vous, pures, chastes, qui patientez en attendant de mettre le doigt sur celui qui vous élèvera plus encore, dans l’Amour. L’amour physique me contente et permet de passer le temps et parfois je m’élève, moi aussi, bien accrochée aux rideaux. Ne croyez pas que je vous vole vos hommes, je m’occupe de ceux que vous ne regardez pas, de ceux à qui vous n’osez pas parler, de ceux que vous avez déçus. Enfin, ne m’appelez pas catin, je ne monnaie rien, ne dois rien à personne et subviens à mes besoins sans mettre le grappin sur quelque bon parti.
Pourquoi vous dis-je cela, finalement, puisque vous ne m’appelez pas, ne me voyez pas, ne savez même pas que j’existe sinon dans votre imaginaire fantasmatique, comme un pâle reflet de ce que vous auriez voulu être.
La grotte aux fées
Fermée. Cachée, obstruée. Presque oubliée, la grotte aux fées. Sont-elles parties, sont-elles restées? Nul ne le sait, tant elles ne veulent plus qu’on s’intéresse à elles. Elles se sont faites toutes petites, se sont cachées, déguisées en stalagmites. Elles ont attendu patiemment que les souvenirs se transforment en légendes mystérieuses. Et là, impossible de retrouver la moindre trace d’elles. La grotte a presque disparu. Son entrée ne se trouve plus qu’au hasard, lorsqu’à force de tourner dans tous les sens, le sentier s’est perdu, les étoiles changent de place et se cachent derrière le feuillage.
Personne ne se souvient jamais de ce qui se passe à l’intérieur de la caverne. Tout juste une vague impression de musique, gouttes d’eau ricochant sur le calcaire. Éclats de rire peut être? Et l’émergence, le retour à la lumière du soleil, dans un lieu familier mais pourtant inconnu. Un chemin pris au hasard pour retourner d’où ils viennent, mais aucune idée duquel.
En aucun cas ils ne l’appellent la grotte aux fées. Ils savent bien que les fées n’existent pas. Et mettent donc leurs délires sur un moment d’égarement, une diète prolongée, la fatigue. Et leur retour miraculeux à la civilisation sur leur instinct de survie, leur bonne étoile. Un jour, lorsqu’ils vieillissent, la légende se transmet, atténuée par le spectre de la folie qui revendique chaque récit non rationnel.
La grotte aux fées se perd encore un peu plus. Pour leur plus grand bonheur.
Le bal des démasqués
Ils font un petit pas de côté, quelques petits sauts, voire soubresauts, font tourner leurs cavalières et cavaliers dans une danse toujours plus rapide, effrénée, saccadée. Juste au moment où les apparences se cachent, leurs visages aux crocs grimaçants surgissent, sourire passionné avant l’ultime morsure. Ils se reconnaissent entre eux, appartiennent au même monde où ils amènent toujours un peu plus de chair fraîche, juste prête à corrompre. Dans son cercle privé, l’élite laisse tomber son masque , sort son cynisme, ses appétits gloutons, son envie de débauche et de luxure, et tient à préserver pour un temps l’innocence qui lui sera sacrifiée en temps et en heure. Car à quoi servirait le masque s’il restait en place éternellement? La plus grande jouissance n’est-elle pas de capter les regards apeurés de ceux qui comprennent enfin ce qu’il cachait, de trouver dans ces regards le moment, la question, le choix qui se fait à la hâte? Vont-ils rester intègres? Vont-ils devenir l’un des leurs, conversion à la hâte grâce à un formidable instinct de survie ou à la soif de pouvoir qui enfin s’épanouit? Vont-ils chercher la sortie des yeux, désespérément, dépassés par l’horreur de ce qu’ils voient, la méprise dans laquelle ils auront été jusqu’à cette tardive révélation? Quel formidable instant de vie sauvage, brute, libre que ce grand bal où, par la force des choses, tout est permis…
Pas du même monde
L’équipe scientifique est arrivée une vingtaine de minutes après la déclaration du sinistre par des badauds. Aussitôt, le périmètre a été bouclé, afin de préserver les indices. Les techniciens, affairés, sont restés concentrés des heures durant pour collecter, photographier, lister tout ce qui pouvait aider l’enquête. A savoir tout ce qui se trouvait sur place. Une fois au laboratoire, une autre équipe a pris le relais, pour hiérarchiser l’importance à accorder à chaque élément de cette masse indigeste d’information. Diverses pistes ont été dégagées, et l’agent Leroy hérite de la comparaison des empreintes.
De manière générale, il aime bien ce genre de boulot. A chaque type d’empreinte correspond un peuple, ce qui rétrécit pour beaucoup les recherches. Il suffit ensuite de répertorier tous les habitants d’une planète susceptibles de correspondre à la description, de vérifier les alibis de chacun, ce qui est simple car chaque individu souhaitant quitter sa planète est pisté. Toute affaire impliquant des personnes de planètes différentes est alors rapidement élucidée.
C’est donc en sifflotant qu’il récupère le fichier des empreintes. Le sourire aux lèvres, il le feuillette rapidement. Lis les premières conclusions, et s’étrangle avec son café. Toutes les empreintes de pas semblent provenir du même monde. Celui de la victime. Celui de la scène de crime. Ce qui veut dire aucun étranger à suspecter. C’est à dire, potentiellement, que tous les autochtones sont suspects. Soit une planète entière. Plus de deux milliards d’habitants. Qui tous sans exception peuvent aller et venir à leur guise dans leur monde natal sans être tracés. Aïe. L’agent Leroy se rembrunit. Ainsi, c’est comme ça qu’ils faisaient avant? Quel bourbier que cette enquête qui commence à peine !