Lettres rescapées

Petit à petit, ses phrases se décousent. Lorsqu’elles sont trop longues, il a le temps d’oublier le début quand il en est au milieu. Les mots s’effilochent, s’enfuient, il parle par mots-clé. Puis vient le moment où ses lèvres, sa langue, son palais ne suivent plus. L’articulation se perd en route. Des quelques mots qu’il arrive à penser ne sortent que quelques lettres, voyelles et sons gutturaux qu’il répète à l’infini, dans une tentative désespérée de communiquer encore.

Couleur sépia

Des années ont passé. Elle revient en des lieux abandonnés depuis longtemps. Ressent une forte impression d’irréalité tant les choses lui paraissent familières et distantes. Comme si elle n’était venue ici auparavant que dans ses rêves, telle une Alice moderne. Rien n’a changé. Et pourtant, tout a changé. Les choses sont trop petites, les proportions sont mauvaises. Et une couleur bizarre s’imprime sur sa rétine, comme un film de poussière marron qui l’obscurcit. Dans l’air flotte l’odeur. Celle qu’elle n’a jamais vraiment oublié. Mais qu’elle n’a jamais pu retrouver ailleurs. Même l’émotion qu’elle sent étreindre sa gorge semble fausse, comme simulée exprès par son inconscient pour la circonstance. Nostalgie? Regret? Mélancolie? Elle n’en sait finalement rien, détachée qu’elle est, cachée derrière la couleur sépia qui la recouvre maintenant pour l’intégrer dans le paysage qu’elle n’a finalement jamais quitté.

La femme de personne

Elle n’est la femme de personne, n’a jamais voulu d’attaches, de possession, de foyer, de prison. Peu importent les mots. L’idée d’appartenir à quelqu’un lui fait horreur. Elle n’est pas non plus la femme de tout le monde, a une idée du respect de soi-même bien trop classique pour passer d’homme en homme et se regarder encore dans la glace. Elle essaie à l’occasion de construire quelque chose, mais dès que son cou glisse dans une corde, si mince soit-elle, elle s’envole à tire d’aile pour retrouver sa liberté, sa solitude, sa forteresse.

Métamorphose

Peu à peu, l’enfant en lui fait silence. Exit l’indignation constante devant toutes les injustices de ce monde. La résignation arrive à petits pas. Balayé l’émerveillement de chaque chose, plus rien ne lui parait original, il est devenu blasé. Cynisme et sarcasmes remplacent son sens de l’humour et de l’auto-dérision. Sa période de révolte adolescente laisse la place à un calme aigri.

Au fil des jours, petit à petit, le jeune homme plein d’idéaux s’est métamorphosé en vieux con, oublié dans son coin. Il ne tardera pas se changer à nouveau en vieil homme en souffrance, la connerie ne masquant qu’un temps le néant de l’être.

Fragile

Fragile. Froissé. Rouge sang. Cœur noir. Éphémère beauté. Vagabond posé le long des routes, tu es le témoin des balades, des voyages. Tu ne tiens pas en pot, en bouquet, ni même séché. La seule façon de profiter de ta vue, c’est d’aller à ta rencontre, sur le bord des chemins.