Hier j’ai violé ma sœur

Hier, je suis entré dans la chambre de ma soeur pendant son sommeil. Je cherchais simplement une revue que je lui avais prêtée. J’ai ouvert sa table de nuit et suis tombé sur son journal. Je n’ai pas pu résister. Je l’ai lu du début à la fin, en prenant mon temps, assis sur le rebord du lit de ma soeur endormie. Ces petits mots de rien, tendres émois adolescents, trahissant sans jamais en rendre compte les terribles séismes qui chaque jour la secouent. Ces mots ne sont plus secrets pour moi, je les ai profanés, regardant en même temps l’auteur des lignes. Non pas pour vérifier qu’elle dorme toujours. Pour compléter ma jouissance de voler ses secrets. Les lire sous son nez, et violer une seconde fois son intimité en la lorgnant au moment où chacun est le plus vulnérable, sans même qu’elle le sache. Ce que j’ai fait était tellement excitant que, pour un instant, j’ai oublié où j’étais et me suis imaginé dans une salle obscure ; quelques scènes aux lumières stroboscopiques m’ont fugacement traversé l’esprit. Un soupir prolongé de ma soeur m’a ramené à la réalité.

Une fois ma lecture terminée, au moment de partir, j’ai hésite sur ce que je devais faire. Tout remettre en place, soigneusement, pour qu’elle ignore à jamais mon passage clandestin? Laisser ostensiblement son journal à une autre place, ouvert à la page la plus sulfureuse pour la donner à lire à quiconque passera et dévoiler mon intrusion nocturne? Cette pensée a fait monter le sang en moi, mais j’aime assez ma soeur pour ne pas le faire. J’ai reposé le journal à sa place, lissé le bord du lit pour effacer la trace de mon siège, et déposé un baiser sur son front. Je suis ressorti sans faire de bruit et ai fermé la porte le plus doucement possible, laissant ainsi ma petite soeur à son univers onirique.

Sélection

“Alors les petits, vous avez intérêts à être beaux. Ceux qui ont l’air fatigués, ceux qui n’ont pas une belle tête, vous sortez  ou votre mauvaise mine se répercutera sur tout le groupe. Toi, là, tu as une tache, tu sors. Toi, tu as l’air tout ramollo, tu sors aussi. Vous qui avez l’air super en forme, bien lisses et fermes, vous passez devant. Montrez vos belles frimousses et donnez leur envie, nom d’une pipe ! Bon allez, tous ceux qui ont été éliminés, suivez moi, on va se débarrasser du superflu. Allez hop, poubelle, et que ça saute !”

Monsieur René regarde une dernière fois son étal, le juge satisfaisant, et retourne derrière son comptoir accueillir ses premiers clients.

Vivement la fin

Georges et Lucie ont un gros problème. Ils ont travaillé tous deux pendant plus de quarante ans et ont pris leur retraite depuis dix ans. Mais Georges et Lucie n’ont toujours pas l’habitude de ne pas travailler. Georges finit chaque jour ses mots croisés avant midi. Lucie mange quatre fois par jour pour que le temps passe plus vite. Ils vont quelque fois au zoo regarder ces familles promener leurs enfants, mais ils n’ont pas de petits-enfants et rentrent souvent dépités.

Georges bricole souvent l’après midi, mais il ne sait pas quoi faire au final de ses constructions, sa maison est très bien comme elle est. Lucie fait des confitures mais ne les mange pas assez vite, alors elles s’entassent au dessus du buffet.

Mais surtout, Georges et Lucie s’évitent, ils ne supportent plus de se voir mutuellement à ne rien faire. Ils avaient bien remarqué pendant les vacances qu’ils attendaient parfois la fin avec impatience, mais ils oubliaient entre deux périodes d’inactivité.

Maintenant, Georges et Lucie, chacun de leur côté, attendent la fin, la fin de leur retraite, la fin de leur vie commune, la fin de cette vie inutile, un poids mort à leurs côtés.

La volonté de gagner

L’important, ce n’est pas de participer, c’est de gagner… Je me réveille avec cette phrase en tête ce matin, jour J pour moi. Si je gagne, je garde ma vie, je continue le jeu. Si je perds, je perds tout. Retourne chez ta mère. Merci d’avoir participé. Blablabla. Et accessoirement, je passe mes plus belles années en prison.

Alors comme je n’ai pas le choix, je vais mettre toutes les chances de mon côté. Et gagner. Convaincre le jury que la fille était consentente. Qu’elle m’avait dit qu’elle voulait bien, que ça lui paraissait exotique, et même que c’est elle qui me l’a suggéré. Le problème, bien sûr, c’est qu’elle ne l’avouera jamais devant ses parents.

Non, ne partons pas défaitiste. J’ai investi dans le meilleur avocat du pays, il va bien falloir qu’il mérite son salaire… En attendant, je me rase de près, je mets mon plus joli costume, je ne voudrais pas paraître négligé. Aujourd’hui, je ressemblerai au doux agneau que je suis quelque part tout au fond de moi, et je répondrai parfaitement, en toute bonne foi, à toutes les questions qui me seront posées. Et je gagnerai, je serai innocenté, tout affront sera lavé, et je pourrai pourrai poursuivre mon bonhomme de chemin.

Le grenier

C’est un grenier neuf, un de ces greniers qui n’ont pas de souvenirs, pas encore. Plein de promesses, mais sans trésor. Tout lui manque, la poussière et les malles, les toiles d’araignées et les craquements du bois. Ses poutres apparentes sont peintes en blanc, ce qui rajoute à l’impression de propreté, d’irréalité qui se dégage de la pièce. Un tel grenier ne devrait pas exister. Un grenier devrait être d’office vieux et sale, avec une légère odeur de renfermé et de secrets. Peu importe que la maison soit neuve.

Ce grenier-là est pour l’instant une pièce à vivre, avec un fauteuil et une lampe dans un coin, douce invitation à la lecture. Petit à petit, qui sait, il sera abandonné aux vieilles affaires qu’on ne veut plus garder en vue, à tout ce qui nous encombre mais qu’on ne peut se résoudre à jeter. Il sera le dépositaire de notre mémoire, de toutes ces choses qu’on oublie au fur et à mesure, mais jamais complètement.

Alors, quand il ressemblera enfin à un grenier, encombré, usé par le temps, je serai vieille moi aussi, et je le laisserai raconter à mes petits enfants quelques anecdotes de ma jeunesse.