Lettre à des amis

Texte écrit dans le cadre d’un atelier d’écriture à L’Escalier

La nuit, le désespoir, l'horreur indicible, je me tourne vers toi 
Nous sommes sans mot, sans voix, mais nous sommes là, catapultés en bord de vie mais ensemble
Enlacés par le regard, par la chaleur partagée, par les bras qui agrippent, les bras qui repêchent, les bras qui abritent, les bras qui retiennent ce monde qui s'effondre.
Parmi les nuits blanches à écoper nos larmes 
Parmi les heures sombres où la vie tremble en grand fracas.
Quand le monde se colore en bulles fragiles qui éclatent au moindre rire, 
Quand réapprendre la joie est trop insoutenable,
Quand chaque victoire, chaque pas en avant se paie de terreurs, de prostrations, d'abandons, 
Tu es là.
Tu me donnes sans compter l'appui d'un mot, le réconfort d'un câlin, la patience de tes silences.
Et quand les sourires reviennent sans se teinter de larmes,
Quand la joie ne pique plus le cœur mais se partage sans équivoque,
Quand je suis assez forte pour te venir en aide à mon tour,
Quand les projets cascadent à nouveau,
Tu es là, encore.
À toi mon ami, mon veilleur de vie,
À toi mon amie, veilleuse qui tremble dans la nuit,
Merci.

Furtif

À pattes de velours, tu es entré. Dans ma maison, dans ma vie, dans mon cœur. Quand je n’attendais plus rien, j’ai espéré à nouveau. Revoir tes immenses yeux verts flottant dans l’obscurité. Apaiser tes craintes, rassasier ta faim, te purger des parasites qui rongent ta peau et tes entrailles. Caresser ta gueule cabossée aux oreilles grignotées. D’un farouche ronronnement, d’un coup de tête sur ma jambe, tu as dissous le bouchon de mots qui m’obstruait le sternum. Plus besoin de mots quand un amour puissant, incendiaire, embrase l’être. Une pyrolyse de l’âme.

Nettoyés tous ces mots retenus qui s’accumulent. Évacués les avortons de réponses mal formulés, trop tardifs, inappropriés. Évaporé instantanément le goutte à goutte de “et si”, “il faudrait”, “je ne peux pas”. La bonde avait déjà sauté, laissant s’échapper, en tourbillons de larmes, une bouillie épaisse de tristesse, regrets, impuissance, horreur. Cet amour tout neuf a consumé les derniers vestiges accrochés aux tripes et fait place nette.

Parce que je ne savais pas que je pouvais aimer à nouveau. Me tapir, pelotonnée dans des amours solides, durables, déjà testées et éprouvées, ça oui. M’immerger toute entière dans cet amour immense et merveilleux qui m’a portée et façonnée depuis tant d’années, pour sûr. Mais trembler d’amour et d’inquiétude pour un nouvel être, l’accueillir dans mon giron, lui donner ma confiance, une place dans mes pensées, m’engager à faire tout mon possible pour son bonheur et sa sécurité, m’imaginer un futur à ses côtés, voilà qui était insoupçonné. Dans ta soif dévorante d’affection, tu as déniché une source vive, quoi qu’obstruée, et tu as su la révéler, jaillissante, pétillante, brûlante mais profondément désaltérante. Bois, petit chat, réchauffe-toi, apaise-toi, panse-toi à cet amour tout neuf. La source n’est pas près de se tarir.

Vivre avec

Des heures, des jours, des semaines, des mois ont passé. Sans toi. Avec le temps, la douleur reste là, bien présente. Toujours autant de journées où il est insupportable que le soleil se lève. Sans toi.

On s’habitue. Pas à ton absence, non. Comment s’habituer à cette absence lancinante ? On s’habitue à la douleur. On s’habitue aux tremblements de corps intempestifs. On garde le cap pendant le gros de la tempête. On s’habitue à la gorge qui se serre, aux larmes à fleur de paupières. On s’habitue au sternum qui coince, nouvelle limitation dans la collection des tensions de ce corps qui vit.

Et on essaie la joie par dessus la douleur, on essaie le calme par dessus la douleur, on essaie les accomplissements, la fierté par dessus la douleur. On essaie d’être heureux, par dessus cette douleur.

Comme un nouvel état de fait, la vie après un coup d’éclat. Comme on apprend à vivre après une amputation. Vivre avec ce membre fantôme qui nous taraude. Vivre au présent avec les souvenirs de la vie d’avant. Trouver d’autres chemins, d’autres rites, d’autres constructions. Et toujours cette douleur, qui nous accompagne, et qui déjà, fait partie de nos vies.

Bille de flipper

TW : mort, deuil, manque.

Le manque. Tous ces moments où tu n’es pas là. Ces premières fois dans ma vie sans toi. Reprendre une par une toutes les choses que je savais faire avant et m’écrouler sous le poids de cette non-matière. Ton absence.

La culpabilité. Et si. Et si. Ces mots qui me déchirent la tête et le cœur sitôt mis en pensées. Et si j’avais appelé plus tôt. Et si tu m’avais écoutée. Et si j’avais reconnu les signes. Et si j’avais réussi à te ramener. Et si…

Le traumatisme. La chute. La détresse. L’espoir, l’urgence, l’angoisse. Ces quatre vingt dix minutes d’images, de sons, d’odeurs. Cinq mille quatre cent secondes et des brouettes qui tournent et tournent et tournent encore, débarquent à l’improviste et puis s’incrustent.

L’impuissance. L’amour, immense, intense. Comme un raz de marée quand j’ai compris que la Mort était venue te cueillir. Mais qui n’a pas suffi. Qui n’a pas suffi.

Le manque. Des milliers de souvenirs d’une vie heureuse, d’une vie radieuse, d’une vie merveilleuse. Ton sourire qui flotte dans la maison. Ton fantôme derrière chacun de mes pas, à qui je parle, à qui j’écris si souvent mais qui ne me répond pas.

Le traumatisme. Tressaillir au bruit des sirènes, à la vue d’une ambulance. En alerte quand quelqu’un fait un malaise, trébuche, perd l’équilibre, bégaie, crie. À chaque semblant de rupture dans le déroulé normal des événements.

Le désespoir. Le gouffre de cette vie insupportable devant moi. Cette réalité impossible à appréhender qui frappe et frappe encore pour se faire entendre, martèle mon corps à coups de masse. Le faisant éclater en sanglots sous la force des impacts.

Le manque. Les nouveautés, la beauté, l’humour, les projets, la fierté, les accomplissements de cette vie que je ne peux plus partager avec toi. Ces mini-découvertes enthousiasmantes qui me font me retourner vers toi, le néant en réponse qui me coupe net dans mon élan.

L’impuissance. Tous les médecins ou ambulanciers à qui je parle qui me répètent que j’ai tout fait comme il fallait. Que tous les gestes ont été effectués au plus tôt, que toutes les chances étaient de ton côté. Grâce à moi. Mais ça n’a pas suffi. Ça n’a pas suffi.

Le manque. Tes bras qui ne me serrent plus. La chair à vif de ne plus être touchée par toi. Le cœur à fleur de peau à force de se frotter à cette vie rugueuse, sans le filtre de ton amour entre le monde et moi.

Le manque, le traumatisme, l’impuissance, la culpabilité, Le désespoir. Le manque. L’impuissance. Le traumatisme. Le manque. Le manque. Le manque. Le manque.

Tic Tac Boum

TW : mort, deuil, manque.

Le médecin du SAMU, très gentil, qui m’informe que trop de temps a passé, qu’il n’a plus le droit de poursuivre la réanimation. Boum.

Un appel à ta maman en plein milieu de la nuit, le désespoir, les hurlements au bout du fil quand je voudrais juste te veiller, rester au calme auprès de toi. Boum.

L’aube sur le port de Douarnenez, sous le crachin, seule sur le seuil de cette vie sans toi. Boum.

Te voir si paisible au funérarium, lavé et habillé à la hâte d’un T-shirt quelconque. Tic.

Choisir quelque chose à manger dans une station service, au milieu de tous ces gens ordinaires, qui poursuivent leur vie comme si la réalité ne venait pas de voler en éclats. Boum.

Passer voir ton papa et Danielle, nous étreindre. Tic.

Manger une part de tarte préparée par Danielle. Tac.

Arriver à la maison, entrer dans le garage, ton garage. Boum.

Monter dans la chambre, sentir ton oreiller. Boum.

Choisir tes derniers habits, faire des blagues avec les copains. Tic.

Essayer d’expliquer l’incompréhensible à ceux qui n’étaient pas là. Tac.

Me laisser prendre en charge par ceux qui fonctionnent, m’en remettre à eux. Tic.

Ta maman qui me dit que la maison, c’est nous deux, toi et moi, mais que c’est trop dur sans toi. Boum.

Boire avec les amis, près de toi. Tic.

Raconter des souvenirs de toi. Tac.

Câliner les chats, complètement perturbés. Tic.

Parler jusqu’à tomber d’épuisement. Tac.

Me réveiller. Boum.

Voir des gens, expliquer, encore. Tic.

M’occuper de ta nièce, un peu. Tac.

Passer chez Leroy Merlin, sans toi. Tic.

Écrire, déjà, mettre des mots sur l’innommable. Tac.

Manger. Tic.

Voir une pluie d’étoiles filantes. Tac.

Prendre une douche. Boum.

Choisir des photos. Tic.

Choisir du dentifrice dans un magasin. Payer à la caisse. Tac.

Manger des gnocchis. Boum.

Une blague sur les voyages dans le temps. Boum.

Consoler les amis, entendre leurs regrets. Tic.

D’anciennes querelles qui ne sont pas mises de côté. Tac.

Choisir mes symboles pour t’accompagner jusqu’au bout du bout. Tic.

Prendre la parole pour un dernier hommage. Tac.

Devoir te quitter, laisser ton cercueil derrière moi. Boum.

Des discussions trop rapides, trop de monde, l’incapacité physique de bouger, de me protéger moi-même. Boum.

Passer à la banque signaler ton décès. Tic.

Appeler le notaire, préparer ce que je dois dire. Tac.

Prendre la parole après la musique d’attente larmoyante. Boum.

Voir le jardin, la masse de travail. Tic.

Tes travaux inachevés à l’atelier. Tac.

Des carnets écrits par toi, des photos inédites. Tic.

Une chanson souvenir. Tac.

Parler au médecin pour avoir un arrêt de travail. Tic.

Apprendre à la pharmacie que je n’ai plus de mutuelle depuis le 8 août. Boum.

Un nouveau bar sans toi. Tic.

Batailler pour remplir des formulaires. Tac.

Une conversation anodine, quelqu’un qui ne pense pas à consulter alors que son corps lui envoie des signes bizarres. Boum.

Découvrir une ville moche. Tic.

Une pub pour sauver des vies en 10 min grâce au don du sang. Tac.

Un homme qui semble faire un malaise au restaurant. Boum.

Une maison de passage, qui respire l’amour et la sérénité, à notre image. Tic.

Le ronflement rauque d’un chien. Boum.

Recommencer à cuisiner seule. Tic.

Ranger, faire le ménage. Tac.

Retourner dormir à l’étage. Tic.

Voir ta cousine, lui faire visiter la maison. La douleur dans ses yeux. Tac.

Nettoyer l’aquarium, alors que c’est ton tour. Tic.

Plier les draps, sans toi pour toucher mes petits seins au passage. Boum.

Une photo de toi sur ma table de nuit. Boum.

Ta place, vide et froide, dans le lit. Boum.

Tailler le jardin. Tic.

Aller à l’atelier, parler de toi. Tac.

Sortir en ville avec des gens que je connais très peu. Tic.

Jouer à Level up avec les copains. Tac.

Les chats qui te cherchent encore, qui n’ont toujours pas compris que tu ne reviendrais pas. Tic.

Faire les courses, toute seule. Tac.

Croiser le vendeur de la Biocoop que j’aime bien. Boum.

Ton canard enchaîné dans la boîte aux lettres. Tic

Des cartes de condoléances que je retrouve dans une poche de manteau. Tac.

Rajouter un peu de déco dans la maison, infimes changements pour avancer. Tic.

Il en faut peu pour être heureux, la vidéo de mes trente ans. Tac.

Des messages très maladroits de collègues, d’amis. Tic.

Le départ des hirondelles. Tac.

Des étourneaux dans le ciel rose. Tic.

Ton odeur qui s’estompe. Boum.

Installer une chatière. Tic.

Réaménager le salon. Tac.

Vider la bibliothèque avant l’arrivée du désinsectiseur. Tic.

Refuser du regard quelques mains tendues. Tac.

Parler de ta mort à des gens qui ne t’ont jamais connu. Tic.

Penser qu’ils ne te connaîtront jamais. Boum.

Préparer des crêpes. Tic.

Des plans pour les poissons, pour remplacer la chaudière. Tac.

Voir les amis, toujours. Tic.

Les rires des enfants. Tac.

Des câlins. Tic.

Envoyer des lettres à mon neveu. Tac.

Changer trois fois de plans pour les vacances. Tic.

Avancer le long de ce sentier que je découvre pas à pas, sans en voir le bout. Tic. Tac. Tic. Tac. Tic…