La preuve par trois

Un . Ta main dans la mienne pour marcher de concert. Ton réflexe de protection quand tu sens un danger ; le pas en arrière que tu m’obliges à faire, avant même de savoir ce que j’ai pu voir.

Deux. Ta capacité à me déchiffrer, que je le veuille ou non. Sans un mot ou sans un regard, tu sais ce que je ressens. Tu t’y adaptes ou pas, selon ton humeur, mais à chaque fois j’ai la certitude que le message est passé. Pas besoin de te dire que quelque chose me touche, tu redeviens sérieux et restes à ma disposition au cas où je veuille le partager. Impossible d’être en colère contre toi plus de deux minutes, tu désamorces toutes les situations d’un sourire désarmant.

Trois. Ton regard qui accroche sur moi, alors que tu me connais déjà par cœur. La gourmandise dans tes yeux sans cesse renouvelée, pour un corps qui pourtant t’es désormais familier. J’ai beau savoir que jamais tu ne te lasseras d’une pizza ou d’un verre de whisky, ton appétit de moi me ravit et me rassure. Tant que c’est dur, c’est que ça dure.

En réponse muette aux questions que je ne pose pas, j’ai de toi la preuve par trois.

Les bons conseils d’une Tata

Ma très chère nièce,

Tu es grande maintenant, tu entres dans l’âge que l’on nomme ingrat de la presque adolescence. N’attends pas de moi les habituels conseils que tout le monde te rabâche (lutte à mort pour ta virginité, sois bien sage si tu veux réussir dans la vie, ne monte jamais en voiture avec un inconnu, garde ta ligne et j’en passe). Je voudrais réellement t’aider pour ce qui risque d’être les meilleures années de ta vie.

Tout d’abord, ne fais pas de choses stupides. Ne fais pas le mur pour sortir, tu finiras par te faire avoir. Si tu dis que tu vas dormir chez une amie, mets-la au moins dans la confidence, ça t’évitera bien des soucis.

Choisis pour meilleure amie “quelqu’un de bien” que tes parents approuveront sans réserve. Paie-la s’il le faut. Si par chance tes parents croient que ta complice de toujours est un ange, ne les détrompe surtout jamais. Même s’ils essaient de te comparer à elle et que tu ne lui arrives pas à la cheville. Tous les parents ne donnent pas leur bénédiction aussi facilement. Profites-en à fond et couvre-la toujours.

Ne rentre jamais bourrée à la maison. Si tu prévois de boire beaucoup, trouve un endroit où dormir, même si c’est un caniveau. En revanche, les jours où tu seras “un peu pompette” fais comme si tu n’avais jamais bu autant et dis que tu ne te sens pas bien. Ils t’engueuleront sur le coup mais seront soulagés pour un moment.

Écoute d’une oreille attentive les gens qui te mettront en garde contre les garçons. Ils te diront que ce ne sont que de grands sacs d’hormones et qu’ils ne pensent qu’à une chose, peu importe leur comportement (les gentlemen, les poètes, les bad boys et les asociaux ne pensent qu’à ça, même s’ils ne savent pas tous comment mener à bien leurs projets). Cela est tout à fait vrai. Mais n’oublie jamais que tu ne vaudras pas mieux et qu’aussi fleur bleue ou amoureuse tu penseras être, tu n’es toi aussi qu’une amphore remplie d’hormones en quête de sensations. D’où mon conseil : arrange toi pour ne pas tomber enceinte, et pour qu’au moins une de tes amies te couvre et sache où tu es (si tu dois être dans une situation délicate, choisis une amie de confiance, muette de préférence).

Enfin, ne te confie jamais à ta grand-mère. Aussi sûre qu’elle puisse te paraître, un jour ou l’autre elle ne manquera pas l’occasion de rappeler à ta mère à quel point elle te connaît mieux qu’elle et étalera ta vie privée.

Mon très cher neveu,

Pour toi, c’est plus simple. Mène ta vie amoureuse comme tu l’entends -quoi que tu fasses, ce sera bien. Mais si tu veux avoir la paix et éviter questions ou sous-entendus, pense à inviter quelques amies (paie-les s’il le faut) présentables. Ramène aussi épisodiquement des amies non présentables -voire carrément vulgaires- pour que le jour où tu présenteras l’élu(e) de ton coeur, la comparaison soit toujours en sa faveur.

Dans la mesure du possible, évite de faire des trucs illégaux, et, surtout, si tu le fais, n’en réfère pas à un adulte bienveillant dont le premier souci sera de te remettre dans le droit chemin (c’est valable pour moi aussi).

Enfin, ne sois pas trop sage, ça paraîtra toujours louche. Même si tu n’aspires qu’à écrire de beaux poèmes dans ta chambre d’étudiant, laisse toujours tes parents croire que tu es quelqu’un d’espiègle et qu’ils ont finalement de la chance que tu ne sois pas un “vrai” délinquant, mais seulement un adolescent un peu fou-fou et plutôt bien canalisé. Note que ce conseil s’applique également si tu es un “vrai” délinquant. N’essaie pas de jouer les fils modèles, ça attirerait trop d’attentions sur toi. Fais régulièrement des choses stupides mais sans conséquence, c’est un camouflage bien plus efficace.

Voilà, mes chers enfants. profitez à fond de ces années dorées. En cas de problème, pensez bien à détruire cette lettre et ne parlez pas de moi. Vous apprendrez ainsi à assumer les conséquences de vos actes et vous deviendrez des adultes responsables.

Je vous embrasse bien fort,

Votre Tata qui vous aime.

Le temps

Je n’avais jamais le temps, en tous cas pas assez pour vous qui en aviez trop. Je me disais “le week-end prochain, c’est sûr, je les appelle”. Et puis je n’y pensais plus, absorbée par ma vie, entraînée par mon rythme de choses à faire, pas si importantes mais bien souvent pressantes. Je pensais que du temps, tu en avais, même si quelque part j’avais conscience que le compte à rebours était lancé. Le temps t’est maintenant compté ; jours, semaines, mois, années? Qui peut le dire? A moi de te donner ce que tu n’as pas demandé : du temps pour toi, du temps pour rattraper celui qu’on a perdu, ces années envolées. Il n’est pas trop tard, mais j’ai l’amer sentiment que j’aurais pu faire plus, que j’aurais dû être là, même si ma vie n’était pas avec vous.

Je sais bien qu’on ne vit pas au même rythme, que mes visites seront bien espacées pour toi qui vois le temps défiler. Mais je ferai du mieux que je peux pour partager avec toi un peu de mon temps, pour que tu saches au moment de partir que pour moi tu comptais vraiment.

Au conditionnel

J’en entends souvent se promettre de s’aimer toujours, que la vie ne les séparera jamais. Moi, je ne t’aimerai pas toujours d’un amour inconditionnel, quoi qu’il arrive, quoi que tu fasses. Je t’aime tel que tu es, maintenant. Ca ne veut pas dire que si tu ne changes jamais, je t’aimerai encore dans un an, deux ans, dix ans. Peut être que oui. Et peut être que non, je ne sais pas. Parce que moi je vais changer. Inévitablement. Je ne sais même pas si aujourd’hui, j’aimerais la “nouvelle moi” si je la rencontrais. Mais je te demande à toi d’être à même de l’aimer quand elle arrivera. Ou pas. Peut être qu’à ce moment-là, ça n’aura pas d’importance.

Aujourd’hui, je pourrais penser des « toujours » qui s’effaceront avec le temps. Ou qui resteront, mais seul le temps pourra résoudre cette équation. D’un côté, la routine, nos envies à deux qui redeviennent les envies de chacun, l’appât de la nouveauté, la lassitude, l’agacement, la mauvaise humeur de chacun qui se laisse voir petit à petit, les doutes qu’on garde pour soi, l’envie de liberté qui ne se conjugue plus à deux. De l’autre la complicité, la confiance, le respect, les amis communs, la compréhension, la place dans la famille, les matins câlins, les projets qui nous emmènent toujours en avant, la découverte de nos limites et leur franchissement, et une bonne dose d’humour.

Parce qu’il n’est de « bonne personne » qu’au bon moment, et que c’est à nous de nous donner les moyens de prolonger ce moment, tant qu’on estime que le jeu en vaut la peine…