Petite maman

Parfaite petite cuisinière à douze ans, c’est près de toi que j’ai appris le plaisir des bonnes choses. Lécher la pâte crue pendant que tu enfournais le gâteau du quatre heures. La fabrication de glaces à l’eau. La cuisson parfaite du fondant au chocolat. Et la présentation irréprochable, que je ne maîtriserai jamais aussi bien que toi.

Dès que l’occasion se présentait, tu étais grande sœur jusqu’au bout des ongles. Surveillance plus que laxiste pour m’apprendre à dire non moi-même. Leçons de maquillage à treize ans, qui m’en faisaient paraître seize. Leçons de choses pour me mettre à la page du vocabulaire et des mœurs de mes pairs. Et puis les leçons de morale à toutes les deux, pour montrer que c’était toi la grande. Sans oublier les inénarrables “j’ai eu les parents pour moi toute seule pendant trois ans” qu’on ne manquera pas de te ressortir à bon escient.

Un peu trop souvent, tu endossais le rôle de ménagère qui manquait tant à la maison. Maîtresse très contestée en son domaine, tu n’en étais pas moins organisée, efficace, pleine de bon sens. Tu faisais tourner l’affaire, recousais les vêtements, cuisinais et lavais, bien souvent de bonne grâce, parfois la rage au cœur. Indispensable à tous, tu en profitais pour distribuer les tâches que tu jugeais ingrates, en espérant que ça passe, parce que tu n’allais quand même pas tout faire.

Dans quelques accès de colère, tu redevenais illico l’enfant que tu étais censée être. Crises de jalousies, scandant le “c’est pas juste, je devrais avoir plus de droits, avec tout ce que je fais pour vous”. Bouderies, arbitraire, tentatives de despotisme et pour finir, la raison qui revient. Tu retrouvais ta place, que tu avais bien du mal à définir mais que tu n’aurais finalement échangé pour rien au monde.

Les limbes de l’écrivain

Je n’écrirai pas ce texte. Tu me liras, comme toujours. Il pourrait te faire mal, si facilement. Alors je ne l’écrirai pas.

Plutôt que d’édulcorer les mots pour les rendre acceptables, plutôt que de trouver des métaphores qui brouillent les pistes, je n’écrirai pas une ligne. Dans ma tête même j’empêche les mots de s’apparier, de se joindre en farandoles pour me narguer. Si ce texte doit rester au placard, autant ne pas lui donner vie du tout.

Commencer à dérouler les idées, imaginer ce qu’il pourrait dire en substance, par quel chemin je pourrais exprimer mon ressenti, c’est déjà m’encombrer d’émotions qui s’enfouissent un peu plus chaque jour. La page restera blanche, tes joues sèches et mon cœur gros, mais ça vaut mieux que de te balancer des mots-poignards qui te fouetteront en pleine face, sans raison aucune.

Obsession

Laisse moi plonger dans tes yeux. Chamboule moi de tes sourires. Enivre moi de ton odeur. Aujourd’hui encore, je guette un signe, une occasion d’alimenter mes fantasmes, débrider mon imagination. Cette nuit encore, tout me sera permis. Tes bras autour de moi, ma langue sur ton corps, ma peau sous tes caresses.

Cette nuit, je t’ai tout appris. Et pourtant, certains de tes talents ont provoqué chez moi quelques palpitations et de grands afflux sanguins. Tour à tour objet à ta merci et chef virtuose de tes désirs, nos ébats me laissent au réveil un goût salé en bouche et une vague sensation de bien être.

Dans le grand jour de l’après midi, je scrute ton visage ingénu et soutiens sans sourciller ton regard clair. Tu ne te doutes de rien. N’en auras jamais l’occasion. Sans penser un instant à un quelconque interdit, à une morale de comptoir, il n’y aura jamais de nous. Ton ignorance de mes pensées vagabondes garantit la pérennité de mes évasions nocturnes. Je ne laisserai donc aucun demi-mot, aucune ambiguïté s’immiscer entre mes délires et la réalité, de peur qu’ils ne les rapprochent. Ton innocence préservée, tes découvertes à point nommé seront ma récompense pour avoir su, contre vents et marées, apprécier l’ombre protectrice du secret de mon âme.

En attendant, tu t’assois près de moi, ta jambe frôle la mienne. Je contiens mon émoi. Il sera toujours temps de le cultiver dans quelques heures du fond de mon lit.

Nostalgie saisonnière

L’herbe vert tendre s’auréole de jaune. Je pense à toi. Les fleurs à peine ouvertes m’invitent à la patience. Bientôt, les volants vont apparaître. Bientôt…

Alors il sera temps de courir, lancer le pied sur le bord du sentier pour faucher d’un coup sec les tiges chargées. Admirer l’explosion et l’envol des aigrettes. En ressentir de la jouissance. Destruction de l’éphémère et dispersion des fruits.

Ton absence me rattrape. Ce sera moins drôle sans toi. Sans ton rire de possédé, sans ton énergie, sans tes blagues de haut vol. Mais ce printemps encore, je ne manquerai pas à la tradition et trancherai autant de bouquets qu’il le faudra pour ramener un bout de toi à mes côtés. En attendant patiemment d’autres quotidiens où tu seras là.

Reset

Ça a commencé sur les chapeaux de roues. Tu m’as sollicitée, j’ai répondu : pourquoi pas ? Les banalités d’usage très vite passées, restait alors un haut potentiel. Comme à mon habitude, pas de bride d’entrée de jeu, autant attendre de voir comment se passent les choses. Les fils et les aiguilles se sont enchaînés rapidement, le feu de paille est vite devenu brasier. Puis l’incendie a ravagé la forêt.

J’ai essayé de te prévenir, peut être trop tard, peut être pas assez fort. Tu n’as pas vu que j’étais sérieuse, n’as pas compris mes avertissements. Ou tu n’as pas su que faire de ce revirement, pour toi certainement simple passade, complexe aléa des relations avec autrui.

Quand l’alarme a hurlé, mes premières barrières étaient franchies. Assaillie de tous côtés, j’ai bâti à la hâte un donjon pour éviter toute intrusion. Devenue en un claquement de doigts une forteresse imprenable, j’ai érigé à coup de distance des barricades de protection. Très efficaces, un peu encombrantes et parfois blessantes.

La colère passée, la gêne a pris ses marques. Incapable de soutenir dans tes yeux des attentes que je savais ne pouvoir satisfaire, j’ai préféré me taire et fuir. Te laisser comprendre seul que je n’étais pas celle que tu croyais. Te forcer à admettre l’évidence : je ne suis pas quelqu’un de bien. Te laisser te brûler les mains sur mon silence pour que tu sois plus prudent par la suite.  Vague soupçon de remords : tu n’en méritais pas tant. Mais pas d’excuses à servir : tu étais bien prévenu.

Si par le plus grand des hasard tu acceptais. De faire table rase. (Re)devenir pour moi simple connaissance. Alors, peut être… Petit à petit, pas à pas, mot à mot, nous pourrions apprendre à nous comprendre. Un apprivoisement réservé pour ne plus griller d’étape. Cette fois-ci, je saurai faire comme les autres. Donner au compte-goutte. Dans le doute me protéger. M’ouvrir ensuite si le cœur m’en dit. Ou bien ne jamais franchir la ligne. Éviter si possible les douches écossaises puisqu’elles ne sont guère appréciées. Pour garder quelque constance dans l’effort, autant démarrer doucement.

Je ne ferai aucune promesse, ce n’est pas mon style. Je me réserve le droit de changer d’avis. Si les conditions générales sont trop drastiques, si le dommage initial est trop important pour une quelconque réparation, alors tant pis. Ne resteront que les “ça aurait pu”, bien moins douloureux que les éventuels “définitivement, non”. Je poursuivrai alors, bon gré ou mal gré, ma route de rencontres et d’adieux.