Volcan apprivoisé

Bien sûr, j’ai mûri, j’ai grandi, j’ai vieilli, je me suis assagie. Mais toujours brûle au fond de moi la rage adolescente qui s’embrase au contact de l’étincelle. Celle qui m’emporte et me passionne, qui se réveille parfois de ses cendres sans qu’on comprenne bien pourquoi. Ce bouillonnement qui fait de moi un volcan explosif ou effusif, selon les circonstances. Inutile de chercher à étouffer les flammes, l’explosion serait ma seule réponse. Tant pis pour les dégâts collatéraux.

Tu pourrais très bien, tel le petit prince de mon enfance, m’apprivoiser et tirer de moi ton énergie. Je pourrais canaliser tout ce feu pour te réchauffer doucement. Je pourrais te procurer des spectacles pyrotechniques en partant de tout ce qui se consume en moi. Libre à toi de chercher la clé. Mais en aucun cas je ne serai facile d’accès. À toi de me mériter. 

Sous ton aile

Sous ton aile, tu abrites la moitié de la ville tellement ton cœur est grand. Tout le monde se sent bien au chaud, en sécurité, aimé. Sous ton aile, je me sens un peu à l’étroit, écrasé, piétiné par tous ceux qui y prennent leurs quartiers. Car ton immense cœur, je voudrais qu’il ne soit rien que pour moi, qui ai un vide tellement immense en moi. Tu ne peux nous remplir tous, tu ne peux nous abriter tous, tu ne peux me contenter. Alors j’étouffe, je me sens piégé, retenu par toi au milieu de tous tes protégés, caché sous ton aile. L’air me semble lourd, fétide, vicié. Alors je pars de sous ton aile et je déploie les miennes, d’ailes, pour m’envoler loin de toi, de ton aile maternelle, de tous ces parasites qui t’ont volée à moi. Sous mon aile, il n’y a encore personne, mais elle est assez grande pour me couvrir les soirs de grand vent.

Ces si qui sont des cendres au vent

Comme  un nuage de cendres, ils m’assaillent et je ne vois qu’eux, tous ces si qui pourraient un jour, pourquoi pas, advenir.

Telles les cendres d’un être aimé, j’aimerais les retenir, ne pas les laisser s’échapper quand leurs promesses sont si douces à mon oreille. mais je ne peux rien faire d’autre que de les voir continuer leur chemin, voletant en s’éloignant de moi.

Telles les cendres lourdes d’une usine d’incinération, ces si m’oppressent et semblent s’insinuer en moi, comme autant de doutes rendant mon avenir plus incertain et effrayant qu’il ne le sera en réalité.

J’ai beau savoir que ces si se disperseront d’eux même pour ne laisser que quelques poussières résiduelles, la tête dans le nuage tourbillonnant, je tousse et ne vois pas plus loin que le bout de mon nez.

Sur un sentier de lumière

Sur un sentier de lumière, je t’ai rencontré, oublié dans le fossé. Scintillant et tremblotant, tu m’as communiqué ton angoisse, tes craintes, le peu d’espoir qu’il te restait. Pour t’apaiser, te calmer, te rassurer, je me suis aveuglé, j’ai brûlé mes rétines et ma peau. Je t’ai entendu, j’ai absorbé ce trop plein de tout chez toi, j’ai vu ce que personne avant n’avait vu et j’en reste transformé. Tu as perdu de ton éclat, tu supportes à nouveau ton image. Mes yeux, vides pour un temps, brillent d’une farouche intensité et transmettent un peu de toi à quiconque les regarde. Sur le sentier de lumière je n’ose me risquer tout seul, ta peur m’a gagné et je crains pour ma santé mentale, seul dans cette beauté scintillante. Je cherche la rampe mais ne trouve qu’un fossé dans lequel je tombe, perdu sans mes sens. Sanglotant je cherche une âme saine qui m’aiderait à remonter la pente, à accepter ce que par toi, pour toi, je suis devenu.

Une route du front raconte son histoire

Tranquille j’étais. J’accueillais les amoureux en balade, les animaux en vadrouille, les enfants en quête d’aventure. A l’occasion un chariot tiré par un animal de trait. Je n’étais pas très fréquentée, je n’avais même jamais vu un de ces engins à moteur dont parlaient avec excitation les petits garçons. Et puis un jour, de but en blanc, piétinée je fus, souillée, salie, meurtrie. Adieu solitude, tranquillité, paix et harmonie. Les chasses de petits mammifères par les grands prédateurs furent remplacées brutalement par des hordes d’hommes hurlant, chargeant, le fracas mécanique des machines à tuer, les cris d’agonie. Véritable tempête pour mes sens je perdis l’odeur des bêtes, de l’humus, de sous-bois, pour charrier l’odeur de mort, de pourriture et de sang.

De cette période je n’aime guère me souvenir. Mutilations, encombrement, abandon, mon entretien fut plus que négligé. Je n’étais plus choyée par les gens du coin qui connaissaient bien mon utilité, mais ces étrangers envahisseurs -des deux bords- m’usaient jusqu’à la trame sans jamais prêter attention à moi.

J’ai bien failli disparaître après cet épisode. Lorsque les derniers cadavres furent récupérés ou décomposés, on me fuît comme la peste. D’autres routes furent construites pour permettre les détours pratiques à mes abords. Personne ne voulait plus se rappeler de moi, du massacre dont j’avais été victime, comme si on m’en tenait responsable. Laissée à l’abandon, le sang fut épongé, absorbé, et de la guerre il ne restât presque rien. Tout fut recouvert, la nature m’engloutit, simple piste je devins.

C’est alors qu’ils arrivèrent. Ceux qui étaient en quête d’identité, de mémoire, de batailles. Non sans mal, ils me trouvèrent. Et me remirent à nu. Ils ne permirent pas que je progresse, que je ne sois plus évoluée qu’avant. Ils me remirent exactement dans le même état qu’à l’époque. Ils redessinèrent mon tracé qu’on devinait plus qu’autre chose, mais laissèrent les ornières, en creusèrent d’autres, pour être plus authentiques. Chaque véhicule me faisait mal à sauter ainsi dans ces nids-de poule. Le sang en moins, on me refit régulièrement vivre cette période dans maintes et maintes reconstitutions, commémorations, célébrations.

Mais au final je m’en fiche, parce qu’entre deux cérémonies malsaines du souvenir, je retrouve un peu de mon intimité. Les enfants viennent ici se cacher de leurs parents, jouer, courir, échanger leurs premiers baisers, danser. Et pour un temps au moins, je suis protégée de la cacophonie des hommes, de la fatigue qu’ils apportent inéluctablement après vous avoir créée.