Mon nom

Perdu seul dans la nuit, je crie ton nom. Lorsque le doute m’envahit, j’implore ton nom. Dans la joie, l’ivresse, la folie, je chante ton nom. Lorsque le désespoir me taraude, je psalmodie ton nom. Ton nom est sur mes lèvres, dans mon cœur, il explose dans ma tête et ne laisse de place pour rien. Et tu n’es pas là. Tu ne me réponds pas. Je ne pense pas que tu m’aies oublié, mais mes invocations ne te ramènent pas. À trop hurler ton nom, à trop prier ton nom, je laisse de côté l’essentiel. J’ai oublié mon propre nom, et pour me raccrocher encore un peu à quelque chose, je murmure ton nom dans le noir. Parce que je ne peux pas te laisser partir, je préfère abandonner mon nom, qui résonne si faussement sans toi. Et peut être, lorsque je me serai complètement perdu, quand j’aurai oublié la moindre lettre de mon nom, quand je croirai suffisamment au tien, je te retrouverai, j’aurai un signe de toi, une réponse pour toutes ces heures à me rappeler ton nom pour ne pas t’oublier.

Petit homme qui vivait d’espoir

L’un après l’autre, ses espoirs ont été déçus, cassés, abandonnés. Il n’a pas une vie héroïque, il restera dans l’anonymat relatif et confortable que partagent des millions de ses semblables. Il ne travaille pas de sa passion. Il n’a pas une ribambelle d’enfants écourtant joyeusement ses grasses matinées dominicales. Il ne sait même pas s’il a rencontré celle qu’il pourrait appeler “la femme de sa vie”. Il a de la compagnie certaines nuits mais son rêve de mariage en grandes pompes est resté derrière lui, comme un chien abandonné sur le bord de la route.

Alors le petit homme qui vivait jusqu’à présent d’espoirs, faisant le bilan de sa vie, se trouve quelque peu démuni. Plusieurs choix se bousculent dans son esprit. Il pourrait abandonner maintenant, se laisser sombrer dans le désespoir, et le montrer au monde entier par quelque acte stupide et spectaculaire. Il pourrait se voiler la face, continuer à espérer de nouvelles choses, espérer voir venir un mieux dans sa vie qu’il trouve si vaine. Il pourrait changer de perspective, arrêter de vivre sa vie sur des “et si” en attendant mieux et regarder concrètement comment il pourrait se rendre la vie plus agréable, plus sensée, plus riche. Entre ces choix son cœur balance comme un pendu sur sa corde. L’image le rebute, il élimine la première solution. Pour le reste, il verra demain.

Le zonard des étoiles

Isolé de tous, il vit sa vie en solitaire. D’abord choisie, sa solitude devint forcée quand, la tête dans les étoiles, il oublia de signifier au monde sa présence. Aujourd’hui on le connaît comme l’original, celui qui ne sait pas très bien ce qui se passe, ni qui il est. Lui a gardé le blouson en cuir de sa jeunesse, sa chevelure de poète, ses pensées vagabondes. Ne s’est pas rangé, parce qu’au moment où l’idée lui a traversé l’esprit, il n’y avait plus de place pour lui. Le monde trop étroit n’a pas élargi le cercle pour le laisser entrer. Il est resté, marginal, à contempler les étoiles, pensant peut être à une rose fragile, attendant éternellement sur l’astéroïde éloigné B612 son ami et protecteur. Parce que lui se souvient de cette rose que tant d’autres ont oubliée.

ADN en partage

Petite fille penchée sur mon berceau, tu m’as offert bien plus qu’un don de bonne fée. Un amour incompréhensible, inconditionnel, irraisonnable. Tu es là depuis le début, tu as vécu avec moi un bon nombre de premières fois : premiers sourires, premiers pas, premiers mots, premiers cauchemars. Tu as vu aussi pas mal des suivantes. Tu suis ma vie, je suis la tienne, on n’est jamais bien loin l’une de l’autre, pour se soutenir, se rattraper, se réparer. S’entraîner, s’élever, s’ouvrir.

On partage tellement plus que des fragments identiques de doubles hélices, que “des paires de gants, des paires de claques”, même s’il y en a eu, c’est vrai. Aussi bien des gants (et des T-shirts, des chaussettes, des jupes, des écharpes, des pulls, des chaussures…) que des claques (…). Si souvent tu as apaisé mes “peurs du noir”, et séché mes “joues mouillées”. Je t’ai rendu la monnaie et ai soigné ton cœur meurtri, t’ai poussée à assumer ce que tu voulais. Tu m’aides à y voir clair, tu me rends la vie ensoleillée. Je te sers de coach à l’occasion, je suis honnête parce qu’on peut se le permettre. Tu es ma béquille, je suis ton tuteur. Ou l’inverse. Et l’inverse.

On peut s’en prendre à la vie de nous avoir trop tôt séparées. Je peux aussi lui dire merci de nous avoir si intimement liées. Une complicité à toute épreuve, des retrouvailles débordant d’enthousiasme, aucune lassitude. Des embrouilles de gamines, du chantage, de la jalousie, des réconciliations, des fous rires, de la proximité, des chatouilles, des secrets partagés, de la télépathie. Tourbillon concentré sur deux jours, nous avons vécu toute notre enfance en accéléré. Pas de quotidien partagé, mais des rites inventés, pour faire oublier l’absence intolérable, pour faire déborder comme un raz de marée cet amour qui me parait durer depuis toujours et que je n’imagine pas perdre avant la fin.

Tu n’es pas “la moitié de moi”, tu n’es pas mon amie. Tu n’es pas un double, un miroir. Âme sœur s’il en est, tu es le roc inébranlable, inamovible, qui restera à mes côtés lorsque, les années passées, nous ferons le bilan de nos vies. Dans le chaos ou le monde stable que nous avons fabriqué, tu es ma seule certitude.

Des mots pour le dire

Un mot après l’autre, il apprend à parler, comme il a déjà appris à marcher. Les idées, les concepts, les noms se bousculent dans sa tête mais il a encore du mal à articuler. Impuissant, il doit se contenter d’essayer, encore et encore, de former les mots corrects qui lui permettront un jour de se faire comprendre et de donner corps à ses pensées.

Et puis c’est l’explosion. Il se rend compte qu’en  les nommant, il prend du pouvoir sur les gens, sur les choses, sur le monde. Lorsqu’enfin son corps le soutient, il laisse libre cours à son plaisir de parler, de communiquer avec tout et n’importe quoi, sans nécessairement attendre de réponse.

En grandissant, il se calme un peu, réalise que le pouvoir qu’il a sur le monde le tient aussi : comme il entend ce qu’on lui demande, il se doit d’obéir à ce langage qui jusque là le ravissait. Les mots des autres répondent aux siens, le contrant, le bridant, le cadrant et formatant son esprit, son développement. Il est un temps désabusé, avant de chercher à contourner cette nouvelle contrainte. Il prend alors goût au mot juste, à la tournure particulière, à tous les trucs et astuces qui lui donneront l’avantage sur d’autres plus forts mais moins aptes à jongler avec les mots.

Lorsqu’il aura affûté son arme, il ne s’en servira plus que pour de belles parades, galas de connaisseurs où il aura pris sa place. Le son des mots, la musique des phrases le transportera. Écrivain, poète il deviendra.