Comme un ours en cage

On est quel jour aujourd’hui?

À peine la réponse enregistrée, le voilà qui se remet à tourner en rond. Se fixe à nouveau pour demander quand il sortira. On ne sait pas. Il repart. Ses yeux papillonnent, régulièrement attirés par la fenêtre. L’air absent, d’un seul coup, il écoute. Une feuille de papier froissée l’a interpellé comme la foudre tombant à ses côtés.

Qu’est-ce que tu as dit?

Pour la cinquième fois, on répète. Patients. Demain, déjà, tout ira mieux. Pour l’heure, il est temps de redire, rassurer, réconforter. Personne ne lui veut de mal, et surtout, non, il n’est pas fou. Mais il a besoin d’un peu de repos, d’une parenthèse dans le tourbillon de sa courte vie. Courte, mais dense.

Pourquoi tu ne dis plus rien, je t’ennuie?

Cette minute de réflexion ne lui a pas échappé. Ses yeux mobiles enregistrent tout, son cerveau interprète le moindre détail. Et ses pieds continuent de le balader, il ne tient pas en place.

Non, tu ne m’ennuies pas, petit renard en manque de blé. Je songe au moyen que j’ai de t’aider. Te raccrocher un peu à cette réalité qui te fuit. Te donner une raison de rester avec nous. Si seulement tu voyais le monde tel que je le vois, ton regard glisserait sur ses laideurs qui te sautent au cœur et tu t’extasierais de petits riens. Alors, j’en suis sûre, tu saurais que la vie vaut la peine d’être vécue.

Patience

Premier jour. Elle encaisse sans vraiment réaliser. Comprend les mots avec ses tripes, n’arrive pas à en dégager du sens. À partir d’une semaine, les mots font leur chemin, minant quelques bases, creusant de profonds sillons sur leur passage. Comme une crue inattendue, ils balaient les certitudes, charrient les doutes et annoncent l’heure des remises en question. Puis, progressivement, les choses s’apaisent, se réorganisent. L’être humain n’est pas fait pour être en tension permanente.

Jour après jour, semaine après semaine, elle a recouvert les mots, les a cachés dans un coin de son esprit. Elle sait qu’ils sont là, elle a conscience que les choses ont changé. Mais ne peut tout simplement pas se les répéter inlassablement. Tant bien que mal, elle patiente. Cherche quelques signes, sans s’attarder, sans sur-interpréter. Elle guette quand même, c’est plus fort qu’elle. Des bouts d’espoir apparaissent, presque malgré elle.

Mais parfois, au détour d’un sentier, quand l’attention se relâche quelque peu, brusquement les mots ressurgissent, sortent de leur cachette et reviennent la titiller. Ils rameutent en force tous les si qui passent dans les environs. Si, au lieu de s’éloigner sur la pointe des pieds, les mots creusaient leur nid et souhaitaient s’installer ? Si chaque jour passé pouvait les rendre plus forts, plus présents, plus consistants ? Et si les réveils câlins, les rires, la vie en commun, la confiance inébranlable perdaient leur sens ? Si un jour, ça ne suffisait plus ?

Pour ne plus paniquer, elle attend, patiemment, que d’autres mots, tous doux, passionnés, murmurés mais sincères, se glissent dans son ciel et viennent chasser ses nuages.

Automne

Le moral se recroqueville comme une feuille dorée attendant d’être emportée par le vent. La confiance, l’estime de soi chutent brusquement, comme le mercure impitoyable. La joie hiberne, s’emmitoufle sous la couette, terrier moderne, pour passer l’hiver sans trop de dommages. Le corps, dans un ancestral instinct, réclame sans cesse de quoi s’emplir, pour faire fi du vide grandissant au creux du ventre et du cœur. La mélancolie s’immisce telle la bruine tenace qui s’incruste sous les manteaux, gelant et mouillant chaque être à portée. Enfin soufflent à nouveau les vents irrésistibles qui balaient les envies, les semblants, les attaches précaires, qui font place nette et ramènent en fanfare la solitude en certitude.

L’Histoire est une passion qui prend pas mal de temps

Remonte le temps, remonte. Un jour, un an, un siècle. Vertigineux. Méticuleux. Égrène à rebours les pages tandis que l’horloge avance. Pause dans une vie pour conter celles d’autrui. Puzzle à assembler, recoller les fragments. Et sur une vie passer dix ans. Tenter d’appréhender l’essence d’un homme, le contexte d’une action, les alliances et trahisons. Synthèse, transmission, legs aux générations futures. Passeurs de flambeau, muets témoins d’époques passées, garants de la mémoire qui ne participent pas au fou tourbillon qui un jour, peut être, sera consigné, archivé, étudié.

Pas assez de toi

Je voudrais te montrer mille choses intéressantes, partager avec toi tout ce qui aujourd’hui m’a arraché un sourire. Dans tout ce que j’ai pu voir flottait ton portrait en médaillon. Ça t’aurait plu, je suis sûr que ça t’aurait fait rire, hocher la tête, réfléchir peut être. Tu aurais bien sûr rebondi. Tu le feras quand je l’évoquerai pour toi. Je vois déjà tes sourires, tes mimiques, ta frimousse sceptique s’éclairer. Je voudrais que tu sois là pour vivre avec moi toutes les magies du quotidien.

Toi, tu ris avec lui.

Je voudrais te couvrir de baisers, relier chacun de tes grains de beauté, explorer, caresser la totale surface de ton corps et plus encore. Enregistrer tes réactions, jouer de toi jusqu’à te rendre folle. Anticiper tes envies, frustrer tes attentes pour mieux plus tard les assouvir, taquiner tes zones sensibles, les répertorier en une carte interactive.

Toi, tu jouis avec lui.

Je voudrais m’endormir dans tes bras, bâtir pour toi des projets qu’on concrétiserait à deux. Tenir ta main, te rassurer, te dorloter, te réchauffer, t’observer à la dérobée, te masser les pieds, partager tes repas, ne rien faire avec toi. Tu te blottirais dans mes bras pour me susurrer des fadaises au creux de l’oreille. Je ferais celui qui s’en moque pour que tu continues mais j’en savourerais chaque syllabe. Je voudrais une centaine de quotidiens pour profiter de ta présence, réparer les maladresses, user de mes droits à l’erreur.

Toi, tu vis avec lui.