J’veux du soleil

J’veux du soleil tellement fort que souvent il brille pour moi. Je ne peux pas me lasser de sa caresse sur ma peau. J’aime les couleurs qu’il donne aux paysages. J’aime plisser les yeux devant la forte luminosité qui brûle mes paupières. Quand il fait nuit, je tourne tellement longtemps dans mon lit que le soleil finit par me délivrer. Sous la pluie, les nuages, le brouillard, j’implore encore et encore jusqu’à ce que le soleil ait pitié de moi. Il sait que s’il ne vient pas, un jour je finirai par venir en personne le chercher. Il préfère, l’air de rien, montrer au monde qu’il est venu de son plein gré. Il a passé l’âge de faire des caprices, le soleil, et il sait très bien qu’avec moi il n’aura jamais le dernier mot.

Il y a…

Il y a la grisaille, le quotidien, la fatigue, les frustrations. Il y a parfois un lever de soleil orangé sur le canal. Il y a les heures trop courtes, les échéances qui tombent en pluie, la course à la vie, les on n’en voit pas le bout. Et puis il y a le sourire franc et sincère d’un inconnu croisé au hasard d’une rue. Il y a la routine, l’ennui, les humeurs maussades et les vague-à-l’âme. Et là, il y a un coquelicot qui éclate en éphémère joie sur le bord du chemin. Il y a les larmes, les doutes, les creux de vague, la solitude. Il y a alors le ronron d’un chat roux au réveil. Il y a les trucs qui ne marchent pas, l’agacement, l’éloignement et la promiscuité. Il y a l’odeur d’une tartiflette qui grille dans le four. Il y a une rixe dans la rue cette nuit, du sang sur le trottoir ce matin, les poubelles qui débordent, la caisse du chat à changer. Il y a juste là la douceur d’une caresse et la chaleur de bras câlins. Il y a l’œuf trop cuit sur la pizza, le dessert qu’on convoitait commandé par le client juste avant, la dernière bouteille de lait finie avant le petit déjeuner, vingt minutes de pubs avant le film. Il y a également des heures de partage dans un groupe accueillant. Il y a l’odeur de cigarette le matin dans la rue, le bus en retard, le bus en avance, le bruit des voitures tout le long du trajet. Mais il y a trois minutes de danse en accord parfait avec son cavalier. Il y a le téléphone muet, des factures dans la boîte aux lettres, les cris des enfants dans le train, un incident voyageur dans le métro. Il y a surtout une deuxième brosse à dent dans la salle de bain et ta tête sur l’oreiller.

Les yeux de chat

À quoi penses-tu quand, pudique, tu détournes les yeux, tu coupes tout contact? Où es-tu quand tes paupières se ferment à demi sur le bleu si profond d’un océan de tristesse? Inaccessible, insaisissable, je te vois t’éloigner pour panser tes blessures, seul, puisque nul ne peut t’aider. Je reste là, au cas où, qui sait, tu t’ouvres à nouveau. Mais j’apprends à éviter ton regard, pour ne plus y voir toute la peine du monde que je ne peux consoler. Pour fuir cette marée d’impuissance qui m’engloutit sans prévenir quand ton visage, d’un coup d’un seul, s’assombrit. Pour te cacher cette douleur que je ne veux pas ajouter à ton bagage. Je trouve mes réconforts où je peux, et de fil en aiguille, un jour, je ne laisserai plus ton si lourd silence me toucher ainsi. Mais pas encore. Pour l’instant j’ai trop peur que ce moment marque mon détachement, mon blindage, mon envol. Alors je persiste et absorbe, je prends sur moi ce qui m’arrive en plein cœur, espérant que bientôt sur moi tu braques fixement tes jolis yeux.

Qui de nous deux

J’ai jeté un œil sur la page, de haut, de loin, juste par curiosité, parce qu’un mot avait accroché mon regard. Son voisin s’est empressé de sauter pour attirer mon attention et le suivant, opportuniste, s’est glissé dans mon champ de vision. La phrase, patiente et lascive, a attendu que je morde à l’hameçon pour me prendre dans son filet. Hors de tout contexte, je me sentais perdu, je cherchais un indice. Le paragraphe, serviable, a bien voulu me renseigner, pour peu que je m’arrête quelques secondes de plus. La narration s’en est mêlé, par le cœur m’a agrippé, faisant tourner émotions et suspense pour ne plus me lâcher. Je n’ai pu résister et lorsque, essoré, vidé, comblé pourtant, j’eus enfin réglé son sort à cette histoire, j’ai réalisé que c’est bien elle qui m’avait déconnecté, baladé, tatoué de l’intérieur à tout jamais. J’ai capitulé sans condition : son souvenir je garderai, en toute occasion je la transmettrai, la ferai vivre à travers mes mots propres.

La femme invisible

Je la devine partout. Sans la voir, je sais qu’elle est là. Là, c’est certain, mais où? Invisible à mes yeux, je scrute son reflet dans les tiens. Sa forme en filigrane, presque palpable, est juste là, entre nous. Je l’imagine passer par-ci, par-là. Ce sourire est-il pour moi ou pour elle? Sous la façade inébranlable, la paranoïa craquelle l’édifice. Insaisissable, je la sens pourtant omniprésente. Panique à bord : saurai-je résister à sa perfection, mes atouts usés pourront-ils rivaliser avec son charme? Fantasme ou réalité, instinct, pressentiment ou sensibilité exacerbée, je ne peux trancher mais mon cœur s’emballe. La terreur me plombe les ailes, me transforme en une sombre imposture qui pourtant me ressemble, elle me gomme et m’efface petit à petit, ne laissant que l’ombre de moi sur le côté.

Impossible pour cette ombre de se battre contre un moulin à vent. Cependant, quel gâchis ce serait que de déclarer forfait devant un mirage… Peut être faudrait-il que j’écarte pour un temps mon imparfaite humanité, que je laisse les humeurs qui me remplissent à craquer déborder et couler pour lentement m’évacuer. Devenir moi aussi irréelle, idéale, pour me hisser vaille que vaille, remonter à son niveau, garder ma place.