Fils de Vénus

Vénus, femme de la nuit et de l’amour, déesse en cuir, attend un enfant. Elle s’en serait bien passé, mais il est trop tard, et puisqu’il va être là, autant l’attendre patiemment.

Tard dans la nuit, Vénus met au monde un fils, un petit homme qu’elle va devoir apprendre à aimer, à qui elle est bien décidée à inculquer le respect. Celui-ci sera l’exception à la règle. Un “toutes des salopes sauf ma mère” inversé. Tous des salauds sauf mon fils, en quelque sorte.

Le fils de Vénus, enfant choyé, entouré, privilégié, grandit dans un monde un tout petit peu trop grand pour lui, mais en bon enfant, il ne s’en aperçoit pas.

Tard dans sa vie, le fils de Vénus comprendra les raisons qui ont poussé les bonnes gens à prendre soin de lui contre son gré. La morale rationnelle et bien intentionnée de ceux-là même qui ont explosé son univers un tout petit peu trop grand pour lui pour le propulser dans un monde standard dont il dépasse de tous les bords, poignant Alice moderne au masculin.

Une larme impossible à essuyer

Aujourd’hui, il y a si longtemps pourtant, c’est la première fois, terrible première fois. La première fois que par ma faute une larme roule sur ta joue. Stop, arrêt imposé pour une photo mentale : tellement belle cette larme sur ta joue lisse et rebondie. Elle laisse un sillon brillant au soleil, d’une iridescence rappelant la marque d’un minuscule escargot sur une céramique.

J’aimerais pouvoir tendre le bras, passer mon pouce sur ton visage et d’une caresse réparer le mal que je t’ai fait. Mais déjà tu détournes la tête, essuies d’un poing rageur la goutte qui trahit des sentiments que tu préférerais garder secrets. Tu t’éloignes, vaques à tes occupations pour m’offrir en sanction ton indifférence accusatrice.

Tes joues sont sèches depuis longtemps maintenant, tes yeux maintes fois rougis ne m’en tiennent pas rigueur et leur éclat éblouit sans effort le monde alentour. Mais quelque part, les soirs de solitude et de mélancolie, coule toujours derrière mes yeux cette larme que j’ai fait naître un jour par mégarde ou inadvertance, presque avec désinvolture.

Rencontres

Pour toi le séisme et sa déferlante. Pour moi les répliques et leurs tremblements après-coup qui font vibrer les tripes et les os. Et le bonheur d’être encore là pour les sentir, apprécier chaque instant après la vision flash d’un avenir sans toi.

Il y a des rencontres qui vous troublent, des rencontres qui vous bouleversent, des rencontres qui vous changent, des rencontres qui vous aiguillent vers d’autres possibles. Il y a la rencontre après laquelle situation initiale et finale s’emboîtent suite aux ajustements, aux questionnements, aux choix renouvelés. Certainement pas à cause d’une soi-disant facilité ou par un statu quo.

Il y a eu la notre, instants magiques en mémoire, instants passés qu’on relie chaque jour au présent. Il y a celles qui suivront, et peut être celles qu’on suivra parce qu’on ne sait jamais, la porte ne sera jamais fermée. Il y a toutes ces rencontres qui nous construisent, nous font avancer, nous rendent heureux, qu’on les vive ensemble ou pas. Et plus vivants que jamais, on sent jaillir l’unique en marge de la route qu’on suit à deux.

Jeux de main

Je ne te donnerai pas ma main. Que pourrais-tu donc bien faire de ma main?

Moi, je pourrais la glisser dans la tienne, petite patte menue réchauffée dans ta poche. Je la laisserai glisser sur ton corps, l’explorant, le caressant, le stimulant petit à petit.

Je ne te donnerai pas ma main. Pas de puzzle pour toi, tu auras tout ou rien du tout. Je ne t’offre qu’un corps entier, à toi d’en jouer comme tu le ferais d’un instrument pour créer d’exquises mélodies aux rythmes envoûtants. Pour toi j’accorde, j’harmonise, j’enveloppe nature en apparats et dispose le tout sous tes yeux amoureux. Les courbes que d’autres devinent, cachées sous le tissu, tu peux les dénuder, les regarder, les parcourir, les ajuster à ta guise. Tu peux faire vibrer la peau, virevolter les sens, m’entraîner dans ta danse, m’improviser, me déguster encore et encore et encore. Rien de nouveau cependant, je ne suis pas la première et sûrement pas la seule à vouloir m’offrir ainsi à toi. Mais un jour peut être, lorsque l’instant en douceur s’imposera, pour un temps ta Galatée, tu pourras remodeler mes contours, sculpter avec moi un nouvel être à venir.

Je garde donc ma main et te fais cadeau du reste, à toi de juger de la valeur de ce présent.