Il était deux fois

Il était deux fois un petit garçon qui rêvait  d’un jour atteindre la lune. La première fois, il prit un bonbon magique qui le fit grandir, grandir jusqu’à passer la tête par-dessus les nuages. Il attendit la nuit et tendit la main pour cueillir l’astre de ses rêves. Il attrapa d’abord un satellite, se rendit compte de son erreur, et le remit délicatement en place. Il tendit la main plus loin, essayant de s’agrandir encore un peu. Mais aussi fort qu’il tentait, sa main n’atteignait jamais la lune. Alors le petit garçon reprit sa taille en pleurant toutes les larmes de son corps.

La deuxième fois il se propulsa à travers le ciel grâce à un canon ultra-puissant. Il était bien équipé et ne risquait pas grand chose avec son casque, sa combinaison spatiale à sa taille et ses réserves d’oxygène. Mais le petit garçon qui rêvassait parfois pendant ses leçons avait fait une petite erreur de calcul. Son canon le propulsa bien dans le ciel par-delà l’atmosphère terrestre, mais il n’atteignit jamais la lune. À l’heure qu’il est, je crois qu’il tourne encore en orbite autour de l’objet de sa convoitise. Ainsi donc, il ne sera jamais trois fois.

Pluie d’été

Une pluie d’été, une pluie d’ennui frappe goutte à goutte sur la vitre fermée. La journée se fait morose, chacun chez soi et porte close. Pas de soleil, pas de lumière, pas de rires qui résonnent dans la cour ou ailleurs. Quand l’écran ne capture plus, quand les pages se suivent vainement, mécaniquement, sans imprimer la rétine ou le cœur, quand la musique bourdonne, que le lave-linge ronronne, quand les chats somnolent, qu’il n’y a plus rien à faire que de tourner quelques pensées pour en tirer un minimum de mots, je m’imagine pluie coulant dans les rues désertes. Provoquant en duel l’estival hésitant. Osera ou n’osera pas sortir flâner pour noyer son ennui dans les ruelles en flaques d’eau?

Passé simple

Je fus, je suis, je serai. Droite, linéaire, la ligne qui m’amène d’hier à demain. Un passé simple, un présent des plus ponctuels, un avenir attendu au bout du chemin tout tracé. Changez cette croyance et déjà mon futur s’estompe, mirage tremblotant au bout de l’avenue. Une nouvelle architecture se devine alors que, couche après couche, je complexifie mon passé. Les deux constructions ne sont pas identiques, mais sont étroitement liées, l’une étant comme le reflet de l’autre dans un miroir déformant. Et le présent, point focalisant ces deux images, se tord, métamorphe perpétuel tentant tant bien que mal de s’adapter aux pressions l’écrabouillant en tout point. De s’adapter, et, quelquefois, de résister. D’influer. Le prisme cherche sa propre voie, tente de s’approprier ce qu’il reçoit pour créer de toutes pièces ce qu’il veut renvoyer. Pas si simple au final.

Froid de l’âme

Je m’approche au plus près de toi, rougeoyant, dansant, chaud. J’ai si froid en dedans, je me colle à toi jusqu’à me brûler. Un pas en arrière et déjà je sens des aiguilles glacées me transpercer. De l’intérieur. Ta chaleur les fait fondre, petit à petit. Elles essaient quand même de se reformer, dès qu’elles en ont l’occasion. Le froid me pique, me mord, vif, partout à l’intérieur, la chaleur m’anesthésie la peau, les sens. Lorsque mon sang enfin se réchauffe, il m’échappe déjà, semble bouillir. J’ai l’impression qu’un torrent de lave m’habite, grâce à toi je n’ai plus froid. Pour garder à jamais cette sensation de chaleur, je sors la froide lame, la dernière qui résiste, et laisse le sang sortir, m’envelopper, me réchauffer pour l’éternité. Et je me mêle à toi, me répands en toi qui finalement m’engloutit. Enfin, je n’aurai plus jamais froid.

Non-dits

Quelque chose de coincé. Là. Derrière la langue. Quelque chose à dire. Communiquer. Lâcher. Mais ça ne peut pas sortir. Me libérer.

Même si je n’avais pas la certitude lancinante que tout le monde s’en fout, je ne peux former les mots. Poser la bombe. Provoquer l’explosion. A défaut je garde tout. Tétanie. Jusqu’à l’implosion.

Gorge serrée. La boule prend trop de place. Ventre noué. Impression de trop-plein. Trop.

Me revoilà petite enfant. Arrivée en cours d’année dans une nouvelle école. Le ventre qui s’étale des talons jusqu’au menton. Le sang qui tape. La peur de dire. De lâcher le morceau. De prendre sa place, enfin.