Qui trop embrase mal éteint

La première étincelle le touche de plein fouet. Il voudrait l’étouffer mais l’air qu’il brasse donne de l’élan, de la force à la première flammèche qui ainsi prend vie. Vexé par cette tentative ratée, le voilà qui monte sur ses grands chevaux. Son esprit s’échauffe, transmet son énergie à l’incendie qui déjà grandit, gronde, s’épanouit en une danse macabre et fascinante. Au fur et à mesure qu’il perd le contrôle, la spirale infernale s’alimente de sa rage brûlante.

Et, lorsque tout est consumé, que le feu a tout dévoré et se recroqueville enfin faute de comburant, il reste là, vidé, cherchant encore comment cela a pu prendre de telles proportions, comment il aurait pu éviter cette escalade. Mais c’est plus fort que lui, son embrasement total et fulgurant reste la meilleure preuve à ses yeux qu’il est vivant.

Brise-larmes

La première commence à pointer le bout de son nez. Elle grossit, déborde et roule sur ma joue. Du bout du doigt, tu stoppes sa course, l’étales et la fais disparaître. La seconde, plus rapide, atteint déjà le menton. Tu remontes ma tête, et d’un baiser l’aspires. Alors que ma lèvre tremble un peu, les larmes coulent à flots. Tu essaies d’endiguer l’inondation, tu éponges ce que tu peux dans le T-shirt qui couvre ton épaule. Puis tu prends le mal à la racine. Tu m’écartes délicatement de toi, tu fais une mimique, puis une autre, de celles qui te rendent irrésistible et exaspérant à la fois. Alors que j’hésite encore sur la marche à suivre, voilà que tu commences à blaguer. Bien malgré moi, un sourire fait irruption sur ma figure rougeaude. Le nez coule encore, les yeux brillent. Est-ce de tristesse ou bien de rire? Alors que je tente vaguement de protester, tu insistes et imites le spectacle que tu as sous les yeux. Je n’en peux plus, j’explose de rire. Encore une fois, tu as gagné, les larmes admettent leur défaite et restent hors de vue, conscientes qu’avec toi, elles n’auront jamais le dernier mot.

À retardement

Il est plus de minuit. Encore une fois, je tourne dans mon lit. Dans ma tête repassent les mots, la scène au ralenti. Je m’entends encore et encore débiter les mêmes âneries, avoir le même regard penaud, et je sens une fois de plus la sensation cuisante de l’humiliation publique. Je ne comprends pas vraiment ce qui s’est passé. Tout d’un coup, une joute verbale a commencé, et il est très clair que je n’en suis pas sorti vainqueur. Complètement pris au dépourvu, j’ai bafouillé, j’ai rougi, j’ai vainement tenté de me débattre. Puis j’ai capitulé.

Et là, alors que le film intra-crânien se déroule pour la énième fois, une voix qui pourrait être la mienne change quelques répliques. Pas de beaucoup, non. Une pointe de subtilité face à cette brute. Juste de quoi me rendre un peu moins niais. De quoi avoir l’impression que j’ai l’air narquois et non simplement paumé.

Il est plus de minuit. Encore une fois, je rejoue la scène au ralenti. Encore quelques enchaînements, et bientôt, chacune de mes phrases sera parfaite pour l’écraser, le remettre à sa place ce petit con. Il est plus de minuit. Je sais enfin quel genre de phrases il aurait fallu que je dise. Il est plus de minuit et déjà je ne sais plus ce qui s’est réellement passé, ce que j’ai vraiment prononcé, ce que j’ai rêvé. Il est plus de minuit, j’ai ma revanche…

Pas ce matin

Douceur du matin quand le réveil sonne et que je peux, encore un peu, me coller contre toi pour profiter de ta chaleur. Pas ce matin. Tel un chat, je m’étire, vocalise et me love dans tes bras. Pas ce matin. La caresse rapide et le bisou du bout des lèvres pour bien commencer la journée. Pas ce matin.

Ce matin c’est le lit froid, ta place vide et moi pelotonnée en boule dans mon coin. Ce matin, après mon premier réflexe câlin, c’est le souvenir de toi t’en allant dans le soir qui me claque en pleine face. Ce matin c’est le premier d’une longue série de matins où je vais devoir réapprendre à émerger seule, à affronter ma journée et ton absence. C’est ma vie sans toi qui commence ainsi par un matin chagrin.

On finira tous par crever

Que fera-t-on à ce moment-là? Est-ce qu’une rustine nous suffira? Quand chaque élément de notre corps réclamera son indépendance, quand le tout se dissociera pour arpenter des milliards de chemins différents. Qui finalement arriveront au même point. Qu’est-ce qu’il restera de nous alors? Quand le cerveau putréfié désertera le crâne vide, quand il n’y aura plus un neurone pour recevoir le moindre choc électrique. Où serons-nous alors? Évaporés dans ces soi-disant vingt et un grammes mystiques? Partagés dans les milliards d’êtres qui nous auront dévoré, digéré, recraché? Juste plus là, sans ailleurs, juste plus?

Est-ce que la conscience nous quitte vraiment à ce moment-là? Où bien est-ce qu’elle se retire pour se concentrer justement sur cet effilochement, les sensations nouvelles, cette grande expérience? Pour apprécier pleinement l’abandon, le lâcher prise, le repos, enfin…