Comme si c’était hier

Je me souviens de la première fois comme si c’était hier. La seconde fois me parait plus floue, comment était-ce déjà? J’ai complètement oublié les deuxième, troisième, quatrième fois et toues les autres, pour ne me souvenir maintenant que de la dernière fois, voire de l’avant-dernière, mais pas plus.

La toute première fois, donc, j’avais vingt deux ans, et je m’étais laissée convaincre par un ami. Je n’avais pas trouvé cela terrible, mais par fierté je n’en avais rien dit. Pour l’occasion, il m’avait présenté à de nombreux amis que je ne connaissais pas encore et jamais je n’aurais avoué ma gêne devant eux. Et heureusement, car c’est cela qui m’a permis de dépasser mes doutes et mon manque de confiance en moi, et de revenir. C’est grâce à cette fierté mal placée que j’ai vécu par la suite de nombreuses séances enrichissantes et que je me suis liée avec des gens aussi sympathiques.

Mais je m’égare. La première fois que cet ami m’a amenée au club, j’avais un peu peur mais j’étais curieuse, en quête de nouvelles expériences, même si à vingt deux ans je ne pouvais pas me considérer comme blasée. En voyant les performances des autres, j’ai été anxieuse, puis excitée à l’idée de faire pareil. Et puis ça a été mon tour, et celui de mon ami. Nous sommes montés ensemble sur scène. Nous avons improvisé vaille que vaille quelque chose sur le thème « Un matin de trop », je suivais ses propositions sans oser me mettre en avant, et puis sans que je m’en rende compte, la chute était là, le « public » applaudissait. J’en suis ressortie soulagée, et frustrée. Soulagée, je n’avais pas bafouillé, je n’étais pas (trop) restée empotée sans bouger, mais terriblement frustrée de n’avoir rien fait par moi-même, de n’avoir pas vu passer le truc, d’être restée passive, tout compte fait. J’ai passé la suite de la séance sans remonter sur scène, disant simplement que j’avais eu assez d’émotions pour la soirée, mais je me suis régalée devant toutes les situations inventées au fur et à mesure par les comédiens.

Et maintenant, j’ai  toujours plaisir à monter sur scène, avec ou sans public, pour improviser au gré des envies du maître de cérémonie des saynètes sur tous les thèmes possibles et imaginables.

Derrière le rideau

Nous sommes arrivés il y a trois heures et demie pour mettre en place le décor, nous costumer, nous maquiller et attendre dans le calme relatif des coulisses. Notre niveau de trac est inversement proportionnel à la quantité de choses à préparer. Lorsque nous pensons être prêts (évidemment non, nous ne serons jamais prêts, mais lorsque nous pensons que nous ne pouvons rien faire de plus), le stress est à son comble. Il ne reste que dix minutes avant l’arrivée du public, environ une demie heure avant le début de la pièce. Sophie, Anna, Pierre et Robin s’isolent, Maria, Stan et Julie ont besoin de contact pour ne pas paniquer. Moi, je savoure ce moment où il n’y a plus qu’à attendre que la magie opère. Les minutes filent comme des secondes, déjà le public s’installe petit à petit. Il faut penser à rester invisibles, mais on entend l’agitation, le bruit des conversations courantes, rires à peine étouffés. Pour eux une soirée banale. Un ciné, un bowling, une pièce de théâtre amateur, peu importe du moment qu’ils passent un bon moment ensembles. Pour nous les ventres noués. Et si on était mauvais, et si nos collègues de travail étaient là, et si notre idée n’avait rien d’original, et si le petit nouveau si mignon me voyait me ridiculiser…

Alors je ne résiste plus, je m’approche du rideau, l’écarte à peine, juste assez pour entrevoir le public, et des yeux je parcours l’assistance en quête d’une tête familière. J’aperçois ma famille, elle est dans le fond, pas super bien placée, j’espère qu’ils ne rateront pas les moments-clé. Mon voisin est au premier rang, à croire qu’il est arrivé bien en avance… Je ne trouve pas mes amis, peut être qu’ils ne viendront pas finalement… Je ne sais pas si ça me rassure ou me désespère, je suis un peu déçue en fait… Je referme le rideau, retourne en coulisses, vérifie les costumes de mes partenaires, leur demande de tout vérifier pour moi.

Il est l’heure, le metteur en scène annonce la pièce au public. Vite, faire le vide dans ma tête. Vite, me placer au bon endroit. Vite, me rappeler mes premières répliques. Trop tard, les coups sont frappés et le rideau se lève.