Au courrier, ce matin, une carte de toi. Après une semaine à scruter la boîte, à attendre le facteur, mon impatience est enfin récompensée. L’enveloppe un peu plus rigide que la normale me rassure. Sacro-saint rituel, je ne l’ouvre pas de suite. J’attends d’être à l’abri de ma chambre pour décacheter l’enveloppe, examiner la carte et me plonger dans sa délicieuse lecture. Je me réjouis de l’image que tu as pu choisir pour moi. J’apprécie chaque mot posé, bribes du quotidien, complices bavardages cryptés, uniquement à moi adressés. Ces mots écrits valent mille chuchotements dans un quelconque combiné. Nulle oreille indiscrète pour nous déranger. Cent cartes à lire et relire pour me rappeler que toujours tu penses à moi. J’en tapisse les murs de ma chambre pour m’entourer de toi. De toi qui manques à ma vie. De toi qui coûte que coûte m’accroches, bouée salvatrice dans ma brève existence déjà bien compliquée. De toi qui seras à tout jamais une part de mon cœur, de mon être, et pas des moindres.
Archives des catégories : Family portrait
Anecdotes ou textes sur ou pour ma famille
Une journée bien remplie
Je me suis levée à l’aube ce matin. J’ai commencé la journée en regardant le temps passer. Un petit déjeuner, la vaisselle puis le ménage m’occupent jusqu’au milieu de la matinée. Je descends chercher le pain sur le coup des onze heures et en profite pour relever le courrier. C’est important d’optimiser les déplacements. En revenant, je commence à cuisiner, même si je sais bien que je n’aurai pas faim. Je passe à table à midi et demie et tandis que je termine mon café, j’entends qu’on sonne à la porte. C’est la voisine du dessus qui m’invite à regarder son album photo. J’accepte avec enthousiasme. En rentrant, en milieu d’après midi, je vais chercher ma voisine de palier pour un thé. Nous restons ensemble jusqu’à dix huit heures. Au moment où ma voisine me quitte, le téléphone sonne. Je parle une bonne demi-heure avec mon interlocutrice. Elle raccroche, je prépare alors le repas du soir. Plus que quelques heures à tenir avant de me coucher. Je suis contente, je n’ai presque pas vu passer la journée.
Le silence des marmots
Elles ne sont pas là. Elles ne sont plus là. Les cris, les rires se sont tus. Partie la présence envahissante, accaparante de mes trois enfants. Où sont-elles? Je ne sais pas. Je cherche depuis des mois. Une trace. Une adresse. Questions aux voisins. Pied de grue devant l’appartement de ma belle-famille. Où les a-t-elle emmenées? Jour après jour, inlassablement, je cherche. Je ne renoncerai pas. Jusqu’à ma mort je chercherai. Car sans elles, à quoi bon vivre?
Elle n’aurait pu me faire plus mal. Se servir de l’innocence de mes enfants, les déraciner, les enlever, pariant sur le fait que je ne voudrai jamais leur faire autant de mal moi-même. Et me laisser toujours un doute horrible, perfide, sournois. Jusqu’où irait-elle pour me blesser? Si je les retrouvais sans qu’elle y soit préparée, que ferait-elle pour me punir? Insoutenable idée, je suis prêt à tout lâcher.
En réalité, je pourrais tout oublier maintenant. Tout ce qu’elle a déjà fait. Oublier qu’elle m’a sali. Oublier les tribunaux. Oublier les trahisons. Oublier la main forcée à nos amis communs, l’inéluctable et impossible choix. Tout. Je pourrais tout oublier. Juste pour la certitude que je les reverrai un jour. Pas pour un visage, un sourire, une excuse, non. Juste pour la certitude que je les reverrai un jour.
Jusqu’à ma mort je chercherai. Je me ruinerai s’il le faut. Je ferai tout mon possible et une bonne partie de l’impossible pour retrouver leur trace. J’arpenterai la France entière. Le monde s’il le faut. Je ne chercherai même pas à me venger, à l’écraser, à la juger. J’accepterai l’inacceptable. Pour la certitude que je les reverrai un jour. Car sans elles, à quoi bon vivre?
Dix ans plus tôt
Tu me voudrais docile, je n’en fais qu’à ma tête. Tu me voudrais serviable, j’assure le strict minimum. Tu me voudrais reconnaissante, je n’oublie pas que comme nous tous, tu pensais à toi avant tout et les mercis que je peux distribuer ne te conviendront jamais. Tu voudrais que je sois ton faire-valoir, jamais pourtant tu ne pourras revendiquer ma réussite, elle ne t’appartient pas. Tu me voudrais souriante, j’offre ma joie de vivre à d’autres. Tu me voudrais pantin, jamais ma volonté ne m’a quittée pour te résister.
Tu auras beau essayer, tu auras beau crier, tu auras beau me forcer, je ne serais jamais celle que tu veux que je sois.
ADN en partage
Petite fille penchée sur mon berceau, tu m’as offert bien plus qu’un don de bonne fée. Un amour incompréhensible, inconditionnel, irraisonnable. Tu es là depuis le début, tu as vécu avec moi un bon nombre de premières fois : premiers sourires, premiers pas, premiers mots, premiers cauchemars. Tu as vu aussi pas mal des suivantes. Tu suis ma vie, je suis la tienne, on n’est jamais bien loin l’une de l’autre, pour se soutenir, se rattraper, se réparer. S’entraîner, s’élever, s’ouvrir.
On partage tellement plus que des fragments identiques de doubles hélices, que “des paires de gants, des paires de claques”, même s’il y en a eu, c’est vrai. Aussi bien des gants (et des T-shirts, des chaussettes, des jupes, des écharpes, des pulls, des chaussures…) que des claques (…). Si souvent tu as apaisé mes “peurs du noir”, et séché mes “joues mouillées”. Je t’ai rendu la monnaie et ai soigné ton cœur meurtri, t’ai poussée à assumer ce que tu voulais. Tu m’aides à y voir clair, tu me rends la vie ensoleillée. Je te sers de coach à l’occasion, je suis honnête parce qu’on peut se le permettre. Tu es ma béquille, je suis ton tuteur. Ou l’inverse. Et l’inverse.
On peut s’en prendre à la vie de nous avoir trop tôt séparées. Je peux aussi lui dire merci de nous avoir si intimement liées. Une complicité à toute épreuve, des retrouvailles débordant d’enthousiasme, aucune lassitude. Des embrouilles de gamines, du chantage, de la jalousie, des réconciliations, des fous rires, de la proximité, des chatouilles, des secrets partagés, de la télépathie. Tourbillon concentré sur deux jours, nous avons vécu toute notre enfance en accéléré. Pas de quotidien partagé, mais des rites inventés, pour faire oublier l’absence intolérable, pour faire déborder comme un raz de marée cet amour qui me parait durer depuis toujours et que je n’imagine pas perdre avant la fin.
Tu n’es pas “la moitié de moi”, tu n’es pas mon amie. Tu n’es pas un double, un miroir. Âme sœur s’il en est, tu es le roc inébranlable, inamovible, qui restera à mes côtés lorsque, les années passées, nous ferons le bilan de nos vies. Dans le chaos ou le monde stable que nous avons fabriqué, tu es ma seule certitude.